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Tout là-haut. par Christensem

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D'un coteau à l'autre il se tortille comme une anguille sur le grill. Cerné par le chaos des collines surchauffées le sentier s'essouffle et peine dans le dernier raidillon qui mène à la maison. Moi, embusqué dans la fraicheur d'un balcon moussu d'ombre, je la guette... C'est par là qu'elle devrait se pointer. Tôt ou tard. D'ici j'ai une vue imprenable. Je ne peux pas la louper, cette garce. J'ai sué sang et eau pour l'accueillir. Ratiboisé tout ce qui s'entassait devant l'horizon. Éparpillé ces murettes un peu trop hautes sur la crête. Balayé ces arbres arrogants et leurs ombres qui se perdent dans les champs de caillou. Pour voir encore plus loin j'ai même basculé la vieille chapelle dans le monde des souvenirs. Elle ne m'aura pas oublié cette catin. Depuis qu'elle me traque. Je veux juste avoir le temps de mettre une belle nappe sur la table et ma chemise aux couleurs de l'aube. Une dernier tango. Tout contre elle. Un pas en avant, deux en arrière. Je te suis, je te fuis. La narguer encore et encore. Comme à chacune des fois où elle est venue me frôler... Mais avant, il me restera encore à t'honorer une dernière fois. Toi mon vieux tilleul. Toi mon fidèle serviteur. Celui qui s'enracine à ma vie depuis le berceau. Témoin silencieux de mes errances dans le mystère de ton feuillage. Mes premières balançoires et mes improbables cabanes. Mes flirts en chocolat et mes triomphes tout là-haut, battants pavillon au milieu des oiseaux. Te voilà maintenant témoin de l'étroitesse du temps qui me reste. Je n'ai pu respecter le pacte qui nous lie depuis la nuit des temps. Je n'ai pu me hisser jusqu'au vent du soir. Celui qui froisse les reflets cuivrés de ta cime. Ma vieille carcasse a eu raison de mes rêves. Adieu aux instants magiques. Ivre de tes délicieux balancements. Troublé par tes rumeurs bruissantes. A présent mes illusions se recroquevillent autour de tes racines. Tes murmures en ribambelle ne sont plus ceux d'une grande voile pleine d'océans. Tout juste le grondement d'un fleuve m'entrainant vers l'abime. Sous mes grands coups de hache, ensemble nous remontons le cours du temps. Un compte à rebours vers nos toutes premières heures. Les copeaux de ta vie vont se perdre dans l'herbe. Des éclats de mon passé m'éclaboussent le crâne. Sous l'acier qui te fouille, chuchotent les milliards de secondes qui nous ont vu grandir. Des secrets murmurés, des fous-rires en confiture, des sparadraps en pleurs, des froissements de filles et des bateaux-pirate qui braillent à l'abordage... Une effroyable clameur, un torrent de regrets et te voilà enfin étendu dans le pré... Dans la chambre quelque chose a bougé. Une ombre a glissé sur le mur. Je rejette mes draps gorgés de cauchemars. Dévale l'escalier quatre à quatre, traverse la cour et me rends au jardin. Rassasié de lune tu es là, bruissant doucement au fil de la nuit... Un escabeau somnole contre ton écorce. Demain j'essayerais une fois encore. Je grimperais avec les dents, avec le cœur. Et de là-haut je lui ferais un bras d'honneur, à la grande faucheuse.

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