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DE LA MISERE EN MILIEU DIRIGEANT par Jules Elysard

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On ne le dira jamais assez : les riches ont leurs problèmes. Et quand ils se lancent dans le misérabilisme, ils y mettent les moyens (financiers, intellectuels, éditoriaux). C'est à ce travail que s'est employé Jean Marc Vittori le 10 septembre pour saluer, dans son journal LES ECHOS, la disparition de son ami Pierre Wauthier. L’ECHO D’UN POTO Le témoignage de Jean Marc laisse pour le moins perplexe. Il ne donne pas le nom de son ami. Il l’appelle par son prénom. Il donne seulement le nom de son employeur (Zurich Insurance) et de son supérieur (Josef Ackermann). Mais il fait paraître (ou laisse paraître) son article dans la rubrique « EVOLUTION PERSONNELLE » sous un titre qui laisse rêveur : LE SUICIDE D'UN DIRECTEUR FINANCIER POINTE LA DIFFICULTE DE LA POSITION. Lui-même écrit pourtant : « La mort de Pierre ne relève donc pas du fait divers ». Et il précise : « Elle s'explique sans doute largement par des enjeux de pouvoir dans une grande entreprise mondiale ». On pourrait imaginer que Jean Marc a été frappé par une révélation et qu’il va se lancer dans une critique de la mondialisation. Mais non. Il a commencé par une banalité : « Le suicide d'un ami, même perdu de vue depuis longtemps, est souvent déconcertant ». Il poursuit en faisant un portrait édifiant du disparu : fils d’une mère « très cultivée, attentionnée sans excès » (…) « Mariage à la mairie puis au temple avec une jolie femme qui avait de la classe et du tempérament, qui est maintenant sa veuve ». Il conclut ses souvenirs en écrivant : « Pierre gagnait beaucoup d'argent et appréciait le confort qu'il donne, ne goûtant guère d'en verser au percepteur. Grand blond aux yeux bleus, il était aussi très sportif. Plongée sous-marine, ski, tennis je crois, puis surf, marathon... Et enfin le rock qu'il adorait danser, excellant dans un style assez classique. Son équilibre dégageait, là comme ailleurs, une forme de puissance sereine ». On remarquera les précisions que tient à faire Jean Marc sur le goût qu’avait son ami pour les jolies femmes et pour l’argent. Ensuite, il en vient à analyser les circonstances du drame : « Si le harcèlement au travail est devenu un thème de best-seller, l'ambiance n'est pas forcément plus détendue au sommet. C'est même plutôt le contraire. Les batailles pour le pouvoir et l'argent sont d'une rare violence dans les hautes sphères de l'entreprise, même si on en parle beaucoup moins - il est malvenu de se plaindre quand on gagne plus d'un million d'euros. » Il continue son analyse en ces termes : « La profitabilité promise aux investisseurs, il y a trois ans, devenait impossible à atteindre. Comme tout directeur financier, Pierre était-il partisan d'une communication prudente ? Josef Ackermann, lui, voulait-il mettre les pieds dans le plat et pousser la rentabilité à court terme ? L'ex-patron de la Deutsche Bank, par ailleurs ancien colonel de l'armée suisse, est un adepte du management sans ménagement, en interne comme en externe. Et s'il a été nommé à la tête du conseil de Zurich, c'est justement pour bousculer une maison trop tranquille, comme le sont souvent les assureurs - même s'il n'était pas PDG. L'affrontement entre les deux hommes, avant les résultats trimestriels du 15 août, semble avoir été virulent. » Il précise enfin que son ami était « au coeur des contradictions du capitalisme actuel, coincé entre les actionnaires et les entrepreneurs, les régulateurs et les décideurs prêts à interpréter la règle jusqu'à l'outrance. Certains directeurs financiers sont malades le dimanche, avant la réunion du comité directeur du lundi. Je ne saurais jamais si Pierre s'est enfermé dans ces contradictions jusqu'au désespoir ultime. Même lui pouvait avoir des failles secrètes. Mais je sais que la vie peut être chienne, même avec ceux qui ont tout pour réussir. » C’est sur ces mots que Jean Marc conclut son panégyrique. L’ECHO DES EXPERTS Mais le journal LES ECHOS ne pouvait en rester sur ce témoignage. Il donne donc la parole, pour aller plus loin sur le sujet, à un DRH et un avocat. Leurs propos avaient été publiés précédemment, mais le journal trouve judicieux de les reproduire. Le DRH, c’est Jean-Luc Vergne, « ancien président de l’AFPA (Association nationale pour la formation professionnelle des adultes) » qui « a dirigé les ressources humaines de plusieurs groupes industriels français, tels que Sanofi, d'Elf Aquitaine et de PSA Peugeot Citroën » et a été « confronté aux suicides de salarié ». Il a avait confié son expérience aux auteurs d’un livre intitulé LE GUIDE DU BIEN-ETRE AU TRAVAIL. Il n’hésite pas à faire des révélations fracassantes, mais on ne sait si elle aurait éviter à Pierre Wauthier de se fracasser. Et il va jusqu à faire des propositions Yakafaucon. « L’avocat, lui, est plus pratique. Il s’appelle Pierre Bonneau. L’article est intitulé : SUICIDE DE SALARIES : QUELS RISQUES JURIDIQUES POUR LES EMPLOYEURS ? Et il n’y va pas par quatre chemins : « L’intérêt pour cette question s’est renforcé depuis la mise en examen au mois de juillet 2012 de Didier Lombard », mais « la voie des poursuites sur le plan pénal apparaît quelque peu théorique. L’affaire « France Telecom », dont l’issue semble pour le moins incertaine, parait ainsi constituer l’exception ». Ouf ! Mais on ne sait lequel de ces deux experts apportera le plus réconfort à la famille du défunt. L’ECHO DES MONTAGNES Du côté de son employeur, on garde son sang froid néanmoins. Une dépêche de Reuters donnait l’information suivante : « Au lendemain du suicide présumé de son directeur financier Pierre Wauthier, le conseil d'administration de Zurich Insurance Group tentera de déterminer si ce dernier était l'objet d'une pression injustifiée, a déclaré vendredi le président par intérim Tom de Swaan. "Le conseil considère qu'il est de sa responsabilité de déterminer si oui ou non une pression injustifiée était exercée sur notre directeur financier", a expliqué aux analystes et aux investisseurs Tom de Swaan lors d'une conférence téléphonique. Jeudi, Josef Ackermann, ex-patron de Deutsche Bank, a démissionné de ses fonctions de président de l'assureur suisse, après avoir annoncé que la famille de Pierre Wauthier estimait qu'il avait une part de responsabilité dans son décès. Tout en confirmant que Pierre Wauthier avait laissé un mot, Tom de Swaan a précisé qu'il n'avait pas connaissance d'un quelconque comportement répréhensible au niveau du conseil. "Nous savons ce qu'il (le mot) contient et il est vrai qu'il y est fait référence à la relation entre Pierre Wauthier et Josef Ackermann", a-t-il dit, ajoutant qu'il serait déplacé de tirer des conclusions hâtives. La police suisse avait annoncé mardi que le décès de Pierre Wauthier, retrouvé mort à son domicile de Zoug, près de Zurich, était apparemment dû à un suicide. Sur le marché suisse l'action Zurich gagne 1,44%. Une autre source d’information s’exprime un peu différemment, mais parvient à des conclusion assez voisines : « Le défunt directeur financier de l’assureur Zurich Insurance, Pierre Wauthier, qui s’est suicidé lundi dernier, a laissé une lettre d’adieu. Il y a évoqué ses relations avec l’ex-président Josef Ackermann, a expliqué vendredi Tom de Swaan, président par intérim, au cours d’une conférence téléphonique. Il n’a pas souhaité s’exprimer davantage sur le contenu de la lettre, par égard pour la famille du défunt. La presse avait rapporté que M. Wauthier s’était senti mis sous pression par M. Ackermann. “Nous ne sommes pas conscients que la direction ait subi des pressions”, a déclaré M. de Swaan. Les circonstances doivent encore être examinées. Le conseil d’administration étudie actuellement si des “pressions démesurées” ont été exercées sur le directeur financier. “Nous prenons très au sérieux les questions de gouvernance d’entreprise”, a répété le président du conseil d’administration intérimaire. Il a insisté de plus sur le fait que Josef Ackermann a démissionné de son plein gré. “C’était une décision personnelle”, a déclaré M. de Swaan. M. de Swaan s’est dit “très attristé et choqué” du décès de son “collaborateur et ami” Pierre Wauthier, insistant sur le fait que ce dernier disposait d’excellentes qualifications. Le directeur du groupe Martin Senn a enchaîné en assurant qu’il n’y avait “aucun lien entre cette nouvelle et les résultats de la Zurich”. Des doutes quant aux chiffres présentés sont “infondés”. “Les événements récents n’ont rien à voir avec la qualité du rapport”, a ajouté M. Senn. “Les chiffres sont tels qu’ils sont, ils sont basés sur un établissement prudent du bilan”. L’assureur maintient de ce fait sa stratégie. “Au cas où des rumeurs circuleraient selon lesquelles les chiffres ne seraient pas corrects, il s’agirait de paroles en l’air”, a poursuivi le directeur de Zurich Insurance. M. Senn s’est référé à des articles parus dans la presse de vendredi. Le “Tages-Anzeiger” avait laissé entendre que Josef Ackermann était apparemment d’avis que “la situation de la Zurich était présentée trop positivement, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise”. (...) A 13h05, l’action montait de 1,53% à 232,30 CHF, après avoir perdu 2,5% la veille. Le SMI était quasiment stable (-0,01%). http://www.highprofilesnews.com/zurich-insurance-suicide-du-directeur-financier-pierre-wauthier-josef-ackermann-pdg-evoque-dans-une-lettre-dadieu/ CONCLUSION PROVISOIRE On ne dira jamais assez la misère en milieu dirigeant, notamment en matière affective. Certes, on peut se payer quelques rolex et les faveurs de quelques femmes de luxe. Mais quand on entend se plaindre de leur sort ces entrepreneurs et ces managers qui se vantent par ailleurs de créer de la richesse, on a envie de leur répondre comme Garance au comte de Montray : « Vous êtes extraordinaire, Edouard. Non seulement vous êtes riche, mais encore vous voulez qu’on vous aime comme si vous étiez pauvre ! Et les pauvres, alors ! Soyez raisonnable, mon ami, on ne peut tout de même pas tout leur prendre, aux pauvres ! » Pierre Wauthier a cependant quelques circonstances atténuantes. D’abord, son histoire personnelle, telle que la raconte son ami Vittori, même s’il évoque « une forme de puissance sereine », rappelle quelques pages du roman zurichois intitulé MARS qui commence ainsi : « Je suis jeune et riche et cultivé ; et je suis malheureux, névrosé et seul... » L’auteur, né et mort à Zurich à l’âge 32, se nommait pour l’état civil Fritz Angst (angoisse) et avait choisi comme nom de plume Fritz Zorn (colère). Une colère rentrée grâce à laquelle il développa brillamment un cancer très performant. La joie est exercice difficile au sein de la puritanie helvétique. Ensuite, Pierre Wauthier est sans doute aussi une victime de l’histoire de son siècle. Son ami écrit avec des accents de révolte : Josef Ackermann, lui, voulait-il mettre les pieds dans le plat et pousser la rentabilité à court terme ? L'ex-patron de la Deutsche Bank, par ailleurs ancien colonel de l'armée suisse, est un adepte du management sans ménagement, en interne comme en externe. Et s'il a été nommé à la tête du conseil de Zurich, c'est justement pour bousculer une maison trop tranquille. On entend la terreur que lui inspire ce management sans ménagement, mais on croirait la plainte qu’aurait pu faire entendre en privé un bureaucrate de l’ex URSS quand Joseph Staline faisait montre de sa brutalité coutumière. Guy Debord note dans LA SOCIETE DU SPECTACLE : « Le stalinisme fut le règne de la terreur dans la classe bureaucratique elle-même. Le terrorisme qui fonde le pouvoir de cette classe doit frapper aussi cette classe, car elle ne possède aucune garantie juridique, aucune existence reconnue en tant que classe propriétaire, qu’elle pourrait étendre à chacun de ses membres. Sa propriété réelle est dissimulée, et elle n’est devenue propriétaire que par la voie de la fausse conscience. La fausse conscience ne maintient son pouvoir absolu que par la terreur absolue, où tout vrai motif finit par se perdre. Les membres de la classe bureaucratique au pouvoir n’ont le droit de possession sur la société que collectivement, en tant que participant à un mensonge fondamental (…). Ainsi chaque bureaucrate est dans la dépendance absolue d’une garantie centrale de l’idéologie, qui reconnaît une participation collective à son « pouvoir socialiste » de tous les bureaucrates qu’elle n’anéantit pas. Si les bureaucrates pris ensemble décident de tout, la cohésion de leur propre classe ne peut être assurée que par la concentration de leur pouvoir terroriste en une seule personne. (…). Staline décide sans appel qui est finalement bureaucrate possédant (…) Les atomes bureaucratiques ne trouvent l’essence commune de leur droit que dans la personne de Staline. Staline est ce souverain du monde qui se sait de cette façon la personne absolue, pour la conscience de laquelle il n’existe pas d’esprit plus haut. (…) En même temps qu’il est la puissance qui définit le terrain de la domination, il est « la puissance ravageant ce terrain ». Quelques mots sont à remplacer dans le texte de cet autre suicidé de la société : Staline par Ackermann (c’est pour rire) ; « pouvoir socialiste » par « pouvoir financier »; « culte de la personnalité » par « culte de l’argent et du succès à tout prix ». Mais le temps est peut-être venu de la terreur dans la classe managériale, dans les milieux dirigeants de la phynance internationale. Tocqueville envisageait la démocratie comme « un despotisme étendu et doux, qui dégraderait les hommes sans les tourmenter ». Avait-il imaginé une variante : un despotisme de plus en plus étendu, mais de moins en moins doux, qui dégraderait les hommes et les femmes sans oublier de les tourmenter un peu ?

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