Cela fait depuis lâge de six ans que jy pense. Jai bien retourné la question dans tous les sens. Je nai toujours pas de réponse. Cest un truc à se taper la tête contre un mur.
Vous comprenez, jaime trop la vie. Je ne sais absolument pas ce que cest, la vie, si quelquun peut me renseigner, mais je laime bien, jaime bien sa fraîcheur, son goût mâtiné de surprises et démotions, sa candeur dans la contemplation, sa colère dans la compréhension.
La vie, cest un peu comme lart : ça ne sert à rien. Rien. Rien du tout. Il ne faut pas se leurrer. Oui, on peut avoir le leurre et lagent du leurre. La vie ne sert à rien du tout. Vous nexistez même pas. Quelques miettes dans locéan de lunivers. Quelques secondes face aux treize milliards et demi dannées qui senfoncent lentement dans la torpeur de loubli.
La conscience humaine est formidable. Elle est capable de se croire quelque chose. Elle a conscience de son plein alors quelle manque de lucidité, celle du vide. Elle est la seule au monde à croire à lexistence. Elle est même capable décrire des tonnes de pages pour se rassurer de son existence. Elle a même inventé projecteurs, caméras et micros pour se croire en haut de laffiche.
Ne vous méprenez, je ne suis pas nihiliste. Cest la vie elle-même qui est nihiliste. Nihilissime même. Que sont quelques petites dizaines dannées médiocres dune petite vie terrifiante de banalité et dinsipidité sur un petit monticule datomes qui sera écrabouillé façon puzzle dans à peine quatre milliards dannées ?
Et encore, je mavance gentiment. Je ne parle pas de loubli au bout dune centaine dannées. Que sont ceux qui ont vécu il y a cent ans ? À part quelques individus, souvent louches et faux jetons, responsables de carnages entiers écoulés dans des cascades de mégalomanie (cest le meilleur moyen de rester dans la mémoire des hommes)
Au bout de quelques milliers dannées, la troupe sétiole jusquà se réduire à peu de chose. Quelques cadavres bien emmaillotés. Des momies ! Avec plein de graffitis et de tags autour deux. Pas grand chose. Un langage des signes, quelques historiettes à ne pas casser un canard. Des tas dos.
Cest débile la vie. Vous arrivez de nulle part. Vous ne savez rien. Rien du tout. Vous nêtes rien du tout dailleurs. Et vous apprenez. Vous apprenez tout un tas de choses. Plein de choses inutiles (a-t-on jamais vu lintérêt du latin ou des tenseurs ?). Vous devenez même un savant, bien plus savant que les plus grands savants dil y a quelques siècles. Vous avez même cet orgueil de connaître. Car la curiosité dérive vite en vanité quand la culture sétale. Vous croyez savoir briller en ville. La ville, en fait, sait briller sans vous.
Et puis vous crevez. Ne tergiversez pas ; ce nest pas réservé à une élite. Cest pour tout le monde. La fin du film est mieux programmée que le début. Le début peut être chaotique, incertain, imprudent, inespéré, mais la fin est toujours prévisible et redoutée. En général, on sy ennuie à en mourir.
Après, vous laissez quelques souvenirs à quelques esprits embrumés par une tenace tristesse. Eux-mêmes vous rejoindront quelques années plus tard. Il ne restera de vous que quelques poussières, quon identifiera de plus en plus mal. Quon oubliera.
Navez-vous jamais vu dans les cimetières un écriteau devant une tombe non entretenue ("entretenue", quel mot ! comme on entretient une maîtresse) : « Cette concession perpétuelle fait lobjet dune procédure de déclassification. Si vous êtes de la famille, prière de vous signaler à la mairie » ? En clair, on en a marre davoir vos restes qui polluent ces lieux, on a envie de les mettre à la poubelle et de passer à autre chose. Publicité mensongère : vous aviez payé la perpétuité. Mais cest toujours du "pas vu, pas pris".
La vie, cest le mythe de Sisyphe. Vous montez la pierre mais vous savez quelle redescendra. Cela fait passer le temps. Cela ne sert à rien. Vous pouvez rire, pleurer, boire, manger, baiser, chier, il ne restera plus rien de vous dans trois mille ans. Et ne comptez pas sur vos photos de vacances. Le plastique, ça dure trente ans au mieux. Le papier, à peine cent ans. Alors, vos mémoires flash, tout le monde sen tapera dans cinquante ans.
Il ne restera rien. Rien de vous.
Pas une seule larme.
Pas une seule pensée.
Bref, autant en finir tout de suite.
Pourquoi galérer pour payer son eau et son électricité ?
Pourquoi sengager dans la spirale de linconscience quapporte la vie urbaine qui na rien durbain ?
Cest absurde cette histoire.
Même mort, je resterais scié dans cette absurdité.
Irais-je tourner des tables pour papoter avec les soi-disant vivants ?
Ou foncerais-je immédiatement sous les cocotiers ?
Et puis, à quoi bon les cocotiers, franchement ?
À quoi bon le soleil et le sable chaud ?
À quoi bon la mer limpide et les jolies filles ?
À quoi bon contempler la beauté quand tant de laideur existe ?
Jai trop peur de vivre.
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