Au dessus du cadran, lhorloge de marbre gris était ornée dune Diane chasseresse qui nétait pour lui quune statue de femme en chignon dont la robe laissait voir un sein de métal vert. Elle avait les cuisses un peu lourdes, contrairement aux membres du lévrier qui eux étaient fins et délicats.
Il avait lâge où les adultes tiennent pour acquis quun en-fant ne comprend pas les choses mais cela ne lempêchait ce-pendant pas dêtre conscient dune certaine gravité. Son père avait le teint un peu pâle ; il rentrait dun déplacement pour son travail qui avait dû beaucoup le fatiguer.
Des champs humides entouraient la maison, qui était celle de ses grands-parents paternels. Cétait loin. La voiture avait roulé longtemps. Est-ce quil possédait déjà sa collection dimages danimaux, à lépoque ? Peut-être. En tout cas on avait nécessairement dû lui donner quelque chose pour loccuper, un livre dimages ou un jouet susceptible de détourner son atten-tion. Il se rappelait seulement un objet quil tenait dans ses mains, un objet intéressant qui absorbait toutes ses pensées ou bien alors, était-ce quil feignait de le trouver absorbant par-ce quon attendait de lui que certains détails de la conversation lui échappe. Dailleurs, si sa tante lui avait souri plusieurs fois durant le trajet, nétait-ce pas pour sassurer quil ne remarquait rien du climat pesant de crispation qui faisait quon respirait mal dans voiture et que les peaux transpiraient ?
Son grand-père élevait des canards de Barbarie et des lapins mais on ne lavait laissé que quelques instants voir les petits qui venaient de naître dans la paille, car il faisait trop froid. En re-vanche, il avait eu la permission de rester aussi longtemps quil souhait au grenier, où se trouvait la fameuse horloge. Personne ne savait expliquer pourquoi lorsquil entrait dans une maison il demandait toujours à monter au grenier alors que cétait, pour lui, une pure évidence.
Par la fenêtre, on voyait son père et grand-père discuter en faisant de grands gestes. Lair grave, gêné, loncle ouvrait une bouteille de vin blanc ; trois verres étaient posés sur un tronc darbre scié qui faisait comme une table basse. Il ne faisait aucun doute quil était question de quelquun de la famille.
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Jaurais tout de même préféré que le petit ne soit pas là. Si seulement
Sa mère parlait à voix basse. Il comprenait quon débattait de certaines choses quon aurait préféré évoquer en son absence, et il comprenait aussi que sil se trouvait là cétait parce quun empêchement navait pas permis quon le confie à la garde de son autre grand-mère.
-... Et pour une fois, ta belle-sur naurait pas pu
?
Elle aurait sans doute pu, elle aurait même vraisemblable-ment été ravie, mais il nétait pas assez sot pour ignorer que sa mère tenait son autre tante pour une femme indiscrète chez qui elle naurait donc jamais accepté quil passe la journée.
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Tu tamuses bien, là-haut ?
Il répondait que oui, sur un ton enjoué. Et quelques ins-tants plus tard, lorsquon lui recommandait de ne rien casser et de ne rien abîmer, il assurait que non, de la même voix docile. Ce qui était un mensonge, car à ce stade il avait déjà détraqué le mécanisme complexe de lhorloge dont laiguille des minutes tournait à présent comme une hélice.
Inconsciente ou idiote, la femme sur le cadran de lhorloge lui souriait comme sil ne se passait rien de particulier. Il discer-nait les voix qui chuchotaient gravement en bas, et les sons lui parvenaient comme sils étaient tous provoqués par des gestes brusques : le grondement dun seau entier de charbon dont on remplissait soudain le poêle, le bruit du crochet qui agrippait la plaque de fonte, la cafetière quon reposait brusquement sur celle-ci, la porte vitrée du placard quon refermait dun claque-ment sec après avoir sorti trois tasses ainsi quun sucrier dont le couvercle tremblait.
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