Quel romancier, ou quel philosophe a-t-il dit : « Un roman nest jamais quune philosophie mise en images » ? Bon, cest facile, sinon, ce commentaire ne serait pas rangé ici.
Mais, accordant beaucoup dimportance au style, il disait aussi (le 19 septembre 1955) : « Pourquoi suis-je un artiste et non un philosophe ? Cest que je pense selon les mots et non selon les idées ».
Cela fait très lyonnais, ceci, la révolte des Camus.
Et puis, cela fait un petit côté marionnettiste.
« Je me révolte, donc nous sommes ».
En réaction à André Breton qui lavait traité de « révolté du dimanche », Camus a écrit une lettre de protestation à Sartre (qui était le directeur du journal qui avait publié Breton) : « [Je suis las dêtre critiqué par des gens] qui nont jamais mis que leur fauteuil dans le sen de lHistoire », histoire de critiquer (en 1951) ceux qui suivaient aveuglément Staline et les goulags.
La correspondance polémique entre les deux monstres du XXe siècle a été publiée le 30 juin 1952 par Sartre qui lui avait répondu : « Doù vient-il, Camus, quon ne puisse critiquer un de vos livres sans ôter ses espoirs à lhumanité ? ».
« Lune des seules positions philosophiques cohérentes, cest la révolte ».
Mais une révolte qui soit en accord avec le respect des personnes, la dignité, bref, lhumanisme.
En décembre 1957, devant des étudiants suédois lui reprochant injustement son silence sur la guerre dAlgérie, il lâcha une petite phrase faite pleine dhumanisme qui a été systématiquement falsifiée par ses contradicteurs : « En ce moment, on lance des bombes dans les tramways dAlger. Ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si cest cela la justice, je préfère ma mère ».
Cette dernière phrase est devenue dans le compte-rendu du Monde : « Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice » puis, le colportage populaire la transformée en : « Entre la justice et ma mère, je choisis ma mère ». Un sens qui navait rien à voir avec ce quil expliquait ; lui voulait combattre le terrorisme aveugle.
Une révolte sans nier lhumain, cest quasiment impossible et cest ce qui la opposé à beaucoup dintellos parisiens favorables au FLN et justifiant le terrorisme aveugle. Camus, lui, sy est opposé au point décrire une pièce très subtile et pertinente (sur lattentat du 17 février 1905 à Moscou qui tua le grand-duc Serge Alexandrovitch de Russie) : "Les Justes" (créée le 15 décembre 1949, donc, avant le début de la guerre dAlgérie) où il a fait dire à lun de ses protagonistes : « On commence par vouloir la justice et on finit par organiser la police ».
Parmi les belles phrases de cette pièce, il y a aussi celle-ci : « La liberté est un bagne aussi longtemps quun seul homme est asservi sur la Terre ».
Cette révolte humaniste, il la décrivait de nouveau en 1957 : « Le silence dun prisonnier inconnu, abandonné aux humiliations à lautre bout du monde, suffit à retirer lécrivain de lexil chaque fois, du moins, quil parvient, au milieu des privilèges de la liberté, à ne pas oublier ce silence, et à le relayer pour le faire retentir par les moyens de lart ».
À cette même occasion, il parlait ainsi de sa génération noyée dans le chaos du monde daprès-guerre : « Héritière dune histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourdhui nous détruire mais ne savent plus convaincre, où lintelligence sest abaissée jusquà se faire la servante de la haine et de loppression, cette génération a dû, en elle-même et autour delle, restaurer, à partir de ses seules négations, un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent détablir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait quelle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche dalliance ».
Le journaliste Philippe Lançon écrivait dans Libé le 2 janvier 2010 : « Sans doute faut-il être très jeune pour le suivre, ou déjà vieux pour laccompagner. Il y a une époque de la vie, entre vingt et cinquante ans, où lon se croit trop malin, trop subtil pour Camus ».
Est-ce aussi votre cas ?
Parce quen ce qui me concerne.
Ce nest pas affaire dâge.
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