La Grèce était la destination sur laquelle elle avait arrêtée son choix. Un peu comme un retour aux sources : le bonheur des retrouvailles avec des amis quon aurait délaissés trop longtemps. Elle navait pas eu besoin dinsister trop longtemps pour les convaincre de la rejoindre : la Grèce est bien le seul pays qui enchante sa mère. Ils ne sont plus tout jeunes mais pas si vieux. Ils ont voyagé en Europe et ailleurs : lEspagne, le Portugal, le Maroc restaient pour elle des pays dont elle na quun souvenir brumeux tandis que la Grèce éveille chez sa mère des émotions heureuses. Pour lui qui préférait lEcosse, ces pays chauds éveillaient toujours quelque appréhension. Les voyages, ils en sont un peu lassés. Pas facile dans ce cas dentraîner un paternel qui tel Ulysse dans lOdyssée rêve de revenir sur son île natale, qui est plein dangoisse, est accroché aux confortables habitudes dun douillet chez soi.
Mais ce soir, ils sont attablés tous les trois à la terrasse dune taverne, dans un coin dîle verdoyant : la Grèce recèle des surprises comme ces îles ioniennes baignées par cette baignoire méditerranéenne.
Elle leur a donné R.V. à la pointe de cette île où accoste le ferry reliant ces 2 terres que sont Kerkira et Zakinthos. Pour elle, qui a raté le seul bus de 17h faute davoir pu lire la destination affichée dans un coin de la vitre avant, le trajet a commencé à pied dans la chaleur dune fin daprès-midi estivale le pouce levé : peu despoir de compter sur les trop rares voitures traversant lîle du sud au nord, alors elle a troqué sa tenue contre une petite robe rouge plus seyante mais surtout plus voyante. Et ça maaaarche : une voiture sest arrêtée. Elle sera donc à lheure au R.V.
Elle guette maintenant à la proue du bateau, la chevelure blanche de son père parmi les quelques attroupés de ce bout dîle
Elle ny croit pas, elle agite donc bêtement un foulard : se sont-ils vraiment déplacés jusquici ? Obtenir cette faveur relève du défi : elle na pas eu à insister beaucoup, la Grèce résonne comme une parenthèse enchantée pour sa mère. Prendre lavion et atterrir au milieu des lauriers, à la différence de cette échappée en voiture en août 67, organisée par 5 adultes transportant 15 ados et gamins parmi les ruines du Péloponèse. Le paternel ny avait pas participé, arguant des exigences de son activité directoriale. Il na plus cette option, il a donc cédé peu convaincu (en un mot). Il est un peu grognon, il fait chaud et , non, il na pas faim, ne souhaite rien dautre quêtre à lombre. Impossible de faire de lombre à sa femme : lallure dégagée, le cou dun sens, la tête de lautre, elle rayonne. Aux tables voisines tous se tiennent avec désinvolture : le résiné délie les langues
Pur un peu on en serait aux familiarités, inconcevable pour elle comme pour lui.
File et mère échanges des propos insipides, quimporte, chacun y va de sa réflexion. Lui se tait : il manifeste quelque appréhension pour cette cuisine grecque quil ne connaît pas.
« Suivez-moi donc aux cuisines » lance le serveur « cest ainsi quon choisit son menu, ici ». Décontenancé, il se laisse entraîner: on soulève les couvercles
on se laisse aller aux fines odeurs de moussaka, aux couleurs du tzaziki. Ca traîne un peu, trop content de pouvoir échanger en français, le paternel se vante de sa progéniture :5 filles, vous pensez ! Finalement très à laise, ils reviennent souriant, et dune main légèrement posée sur lépaule de la mère, le serveur lance à son intention : « alors vous naviez pas la télévision » Ah ! la tête de la mère soudain pâle et défaite
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