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Que vous vivez mal, messieurs ! par Embrouillamimi

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Dans l'œuvre de Tchekhov passe un cortège d'esclaves, esclaves de leurs amours, de leur bêtise, de leur paresse ou avidité de bien-être, esclaves d'une peur obscure de la vie, vaguement troublés, remplissant leur existence de discours décousus sur l'avenir, parce qu'ils sentent qu'il n'y a pas de place pour eux dans le présent. Parfois, au cœur de cette masse grise retentit un coup de feu: c'est Ivanov ou Treplev qui a compris ce qu'il avait à faire: mourir. Certains forment de jolis rêves sur la beauté de la vie dans deux cents ans, mais personne ne se pose cette simple question: qui donc la rendra belle, si nous nous bornons à rêver? À côté de cette foule grise et ennuyée d'êtres impuissants, est passé un homme grand, intelligent, attentif. Il a jeté un regard sur ces mornes habitants de sa patrie et, déchiré de désespoir, sur un ton de doux mais profond reproche, il a dit avec un triste sourire, d'une belle voix sincère: "Que vous vivez mal, messieurs !" » Maxime Gorki Je relis les trois sœurs...Pièce d'Anton Tchekhov , ou les protagonistes se font laminer par le quotidien de la vie, tant ils sont écrasés par le sentiment profond et désabusé que la vie ne leur est plus qu'un fardeau Le contexte actuel , peu engageant, ou il me semble devoir bon gré mal gré abandonner nombre de rêves et idéaux fait que ce texte résonne particulièrement en moi Les trois sœurs s'ennuient désespérément. Elles n'arrivent pas à s évader de leurs existences, tristes et insipides ... Leurs vies se délitent , le sens se désagrége. Impuissantes , elles ne peuvent en réfréner la décomposition Pourtant Il faut vivre", répète Irina, vingt ans.... Olga, Irina et Macha, vivent dans une morne petite ville de province dans la maison que leur a légué leur père, maison qu’elles partagent avec leur frère Andreï et son épouse Natalia, ainsi qu’avec Fiodor, le mari de Macha et Anfissa, la nourrice. Leur rêve est de retourner vivre un jour à Moscou, ville de leur enfance Ce Moscou, chimérique, cristallise tous leurs fantasmes et leurs espoirs . Dans l'attente de ce départ hypothétique pour une vie nouvelle, il convient de se distraire pour passer le temps et chasser l’ennui. Les militaires de la garnison de la petite ville leur offrent, en cela quelques distractions, mais en dépit des fréquentes visites des d'officiers, l'existence passe imparablement, gâchée par la vacuité ,emplie de pitoyables conversations inutiles Je ne raconterai pas la pièce, lisez là si ce n'est déjà fait Tchekhov nous dépeint un univers de torpeur sans espoir ,transpirant d'impuissance , ou prédomine la sensation angoissante d'appartenir à un monde qui se meurt, et la frustration d’être dans l'incapacité de pouvoir changer cet état de fait Leurs vibrantes espérances, n'empêcheront pas les trois sœurs d'échapper à l'ennui,à la solitude, à l'inéluctable déception de leurs aspirations Paralysés,statiques à jamais, une chape de plomb les enveloppant irrémédiablement ,les personnages malgré leur bavardages incessants ,jeux de mots et d'esprit , vains discours philosophiques pour combler le vide , plongent inexorablement dans une lente agonie. Issus d’un passé révolu, incapables de s' intégrer dans le présent. Elan engourdi vers un autre possible, futur brisé, rêve de changement illusoire... Vie et mort .Espoir et désespoir , Révolte et résignation sonnent le glas de l'espoir déçu d'une vie meilleure, et marquent le deuil de la projection dans l'avenir Ils sont terriblement humains les personnages des trois sœurs... lâches mais conscients Leur pauvre vie s'étiole .Ils n'ont rien accompli , rien entrepri. Ils se sont juste bornés à rêver et les rêves impitoyablement se dérobent Le cri d' Andreï à l’acte IV est là pour nous interpeller et nous réveiller! « Où est-il, où est-il parti, tout mon passé, quand j'étais jeune, gai, intelligent, quand mes rêves et mes pensées touchaient à tout ce qui est beau et élevé, quand mon présent et mon avenir étaient éclairés d'espoir ? ». Tchekhov était persuadé d'avoir écrit une comédie,il l'a cependant sous-titrée drame ... Il se fâcha tout rouge contre le metteur en scène Stanislavski qui lui soutenait mordicus que c’était bel et bien un drame. Oui.... On sourit aussi à la lecture des trois sœurs. On sourit à la tragi comédie de la difficulté d’être des protagonistes qui demeurent néanmoins d'incorrigibles optimistes, tel leur affectueux mais néanmoins lucide créateur C'est par la voix d'Olga, que Tchekhov , consolera... Olga, la généreuse , la courageuse délivrant l'optimisme final , dans un moment hautement tragique de la vie des trois soeurs "Notre temps viendra; nous nous en irons pour toujours; on nous oubliera. On oubliera nos figures, nos voix, et combien nous étions, mais nos souffrances se changeront en joie pour ceux qui vivront après nous… Le bonheur et la paix régneront sur la terre. Et l'on se souviendra avec des paroles affectueuses de ceux qui vivent à présent. Oh, mes chères sœurs,notre vie n'est pas encore finie; vivons ! La musique joue si gaiement, si allègrement, et il semble que bientôt nous saurons pourquoi nous vivons, pourquoi nous souffrons… Si l'on savait !… si l'on savait !"

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