Le matin elle aimait aller se baigner nue. L'eau était chaude et soyeuse.
Immobile, portée par la mer étale, elle contemplait le ciel où voguaient quelques nuages égarés. Elle était détendue, heureuse. Le bonheur de vivre ne tenait-il qu'à ça? A de l'eau et à quelques nuages dans un ciel bleu?
Elle louait une maisonnette dotée d'une terrasse donnant sur la mer.
La plupart du temps la plage était déserte sauf le dimanche quand les villageois s'y installaient avec leurs enfants après la sieste.
Un midi, tandis qu'elle se promenait sur la plage, elle aperçut un jeune homme qui pêchait. Il disparaissait sous la surface de l'eau puis, après un laps de temps assez long, il réapparaissait avec un poisson qu'il tenait entre ses dents. Quand le jeune homme revint sur la plage, il baissa son maillot de bains et quatre poissons tombèrent sur le sable. Il lui en proposa un qu'elle accepta.
Une fois par semaine elle allait au marché. Les femmes du village la regardaient avec méfiance. Elle n'avait pas encore 50 ans, elle était blonde, fine et seule, ce qui la rendait forcément suspecte à leurs yeux.
Seuls les vieux lui faisaient bon accueil. Ils connaissaient les ciels gris d'Europe. Savait-ils instinctivement qu'elle était comme eux? Elle partagait souvent le vin et les tomates à la fêta sous les platanes de la terrasse de l'unique café. Vivre leur avait posé sur le visage un masque de forban. A longueur de journée leurs doigts égrenaient des chapelets d'infinis. Une fois l'un deux lui avait dit dans un français cahotique: "Quand je te regarde j'ai l'impression de me baigner dans un lac du Nord"!
Le soir après dîner elle écrivait à ses enfants qui vivaient en Australie. Elle écoutait du Schubert ou du Bach. La musique était pour elle une consolation. Elle lisait aussi du Camus. Une phrase l'avait particulièrement frappée: "Il n'y a pas d'amour de vivre sans désespoir de vivre."
Un jour deux jeunes français plantèrent leur tente sur la plage. Elle alla les saluer. C'était des étudiants en 4e année de médecine. Ils étaient en vacances et visitaient pour la première fois le pays. Elle les invita à dîner le soir même.
Elle avait préparé une spécialité du pays. Ils avaient apporté du vin et des fleurs. Au dessert ils avaient roulé un joint. Elle n'avait jamais fumé et encore moins de l'herbe. La tête lui tournait un peu mais elle se sentait bien. La chaîne diffusait du Ray Charles " I believe to my soul". Ils se mirent à danser tous les trois, le plus grand derrière elle et l'autre dans ses bras. Elle n'avait plus fait l'amour depuis des mois et leur émoi contre son corps la bouleversait. Quand elle sentit des mains se glisser sous sa robe elle sut qu'elle ne résisterait pas.
Un rayon de soleil traversant la fenêtre la réveilla. Elle se leva le coeur et le corps légers.
Sur la plage la tente avait disparu, ce qui la fit sourire. Elle se baigna. le ciel était vide de nuage.
Une nuit elle fut réveillée par des coups frappés sur la porte, qui résonnaient comme le début de la 5e de Beethoven. Elle se leva tremblante de fièvre. Il n'y avait que du vent derrière la porte.
A l' aube elle accueillit la mort à bras ouverts.
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