Ma ville
( Entre montagne et mer, à deux pas du Ventoux, à trois de la Camargue, vous venez de quitter l'autoroute et suivez désormais une piste aux airs inquiétants de savane. En abordant la ville, vous pensez vous être perdu, c'est normal, vous êtes au pays de Nulle part. Votre GPS sera bien incapable de vous renseigner)
Ma ville
Je te hais
Je te fuis
Dire que j'ai vécu là contre ton sein (mes souvenirs sont tendres mes souvenirs sont doux)
Je n'imaginais pas vivre ailleurs
Je languissais de toi ma belle
quand je partais
Je ne partais jamais
sans regretter aussitôt l'odeur
de ta peau de pruneau
séché au soleil
Et ton goût de sable salé
Crissant craquant sous la dent
(Entrée Ouest. Suivre le canal. Passer la voie ferrée. Du haut du pont jeter un oeil aux wagons oubliés dans l'emprise. Imaginer les locos et leur chuchotement de cocotte minute. Rouler au pas. Contrôle radar. Attention, Projections de gravillons)
Craquant sous la dent
et le vent et le vent et le vent
J'aimais ta gare, ton cossoul, tes canaux
aussi tes rues l'église les bistrots
la place aux vieux platanes et ses bancs bien polis
J' aimais tout, sans savoir..
La maison de ma mère
Les jardins ouvriers et les blanches cités ( Au milieu des immeubles, de larges cours et des lavoirs, les étendages en bois et le linge qui bat, et cette mer d'herbe drue où jouent les enfants, sous le regard léger des mères aux balcons)
et le vent et le vent et le vent
Je m'en moquais que tu fus moche
Sans âme et sans attraits
Je t'aimais voilà tout
Le tort de partir un jour (Il fallut bien pourtant. Une nouvelle vie. Voyager, voyager loin bien sûr)
De te quitter imprudemment
Sans trop me retourner
Si sûre de toi (ma gueuse ma charmeuse)
Que je retrouverais sans doute
La même, parfumée, (odeurs de thym ou de lavande)
costumée
A me tendre tes bras ouverts
Avec cet air béat des retrouvailles !
Mais quoi, que s'est-il donc passé en mon absence ? (combien de temps, combien d'années)
Quelque chose de toi a changé !
Ou bien est-ce moi....qui sait
Je ne reconnais plus ni ton nom ni ma rue
Les pins noirs disparus
le ruisseau s' est tari
Ils ont touché à ton clocher
Fait taire le carillon (et le coq ! le coq surtout, qui confondait dit-on le jour et la nuit !)
Les rideaux sont baissés
Les visages
plombés
comme les ateliers,
fermés
et le vent et le vent et le vent
Dire que j'ai vécu ici (comment imaginer vivre ailleurs, comment ai-je pu)
Que j'ai tété ton lait
Ce n'est pas possible !
Mais comment ai-je fait ?
Et comment as-tu fait pour me plaire
et me faire t'aimer ?
Vois ce qu'ils ont fait de toi ! (Avenue Kennedy. Encombrée. Trafic. Feux. Stop. Casse-vitesse. Casse-pieds. Circulation difficile. Stationnement limité. Alterné.... Consternée...)
Entre ton tunnel et ton pont
tu ne ressembles plus à rien
ceinturée de béton
Ils ont vendu ton centre
et la campagne autour
Tu n'as rien fait pour garder tes enfants
et tu parques tes vieux au fond d'un entonnoir
Je t'en veux (toi la hargneuse, la baveuse)
je te hais
je n'en finis pas d' étouffer des sanglots
Je me dis impossible
ils ne sont pas tous perdus
ces amis ces voisins ces copains
grise mine
ils ne sont pas tous à râler dans leur coin
Sinistres
Sinistrés
Abattus
Lessivés
A se garder d'un étranger, d'un voile
A se barder de murailles de Chine (des murailles marine)
Contre des Barbares qui ne viendront jamais !
Je me dis qu'il doit bien en rester quelque part
quelques uns qui vont bien
souriants généreux et tranquilles
Je me dis qu'il doit bien y avoir quelque part
Des yeux pétillants
et du rire et des chants
et le vent et le vent et le vent
Laisse-moi revenir
(Ouvrir un chemin buissonnier Rue du Caire, longer le mur en le caressant de la main, de l'ongle écorcher un peu la mousse, creuser un petit trou avec son doigt)
Laisse-moi revenir
toi ma ville
Prends moi fort dans tes bras
tes peurs tes rancoeurs
je n'en veux pas je ne peux pas
Ouvre moi que je rentre
Je veux ton ciel et puis ton eau
et le vent et le vent et le vent
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