Le grand historien néerlandais J.Huizinga, a écrit que les XIV et XVèmes siècles marquent le crépuscule de la civilisation médiévale, sa dernière période "semblable à un arbre épanoui et chargé de fruits trop mûrs ».
A cette époque au XIVème s, alors que la Grande Peste sévit en Europe, rougeoient des bûchers dressés par lEglise pour les hérétiques, les Illuminati et les fanatiques d'une Apocalypse qui précède la venue dun Age dor , selon les prophéties du moine calabrais Joachim de Flore (XIIème s). Après celui du Père ( c'est-à-dire, celui de lAncien testament, et de la Loi), du Fils (celui du Nouveau Testament), viendra l`âge de lEsprit où aura disparu le mal . Se réalisera dans un premier temps un Royaume de mille ans puis enfin, Satan ayant été définitivement vaincu, sétablira à jamais la Jérusalem céleste.
Cest bien dans ce monde finissant, un monde de rupture qui conjugue à une quête métaphysique lomniprésente angoisse de la mort, que Bergman a placé laction de lun de ses films les plus exigeants, le Septième sceau, magistral opus, prix spécial du jury au festival de Cannes, 1957. Cest aussi en cette même année 1957 que sort louvrage de Norman Cohn, Les fanatiques de lApocalypse, courants millénaristes révolutionnaires du XIème au XVIème siècle, réédité récemment. Il analyse leschatologie millénariste qui trouve dans le temps des croisades, et de lépidémie de peste, un terrain propice à lessor de mouvements sectaires qui remettaient en cause lEglise et lordre social établi, appelant de leurs vux une nouvelle ère dont auraient été bannis, en fait éliminés, tous les impurs, les riches, les prélats, les juifs. Ces mouvements saccompagnèrent de violences inouïes, pogroms, massacres sanglants.
Deux uvres remarquables, chacune en leur domaine qui ont en commun de développer une réflexion sur la fin du monde dans le contexte dun après guerre où plane désormais la menace nucléaire depuis Hiroshima et Nagasaki.
Le film de Bergman sinspire de la Bible : le septième sceau est celui qui permettra d'ouvrir le livre de la Révélation (en grec, apocalypse). Seul, l'Agneau (le Christ) a le pouvoir de le briser. Ainsi sexprime le texte de l'Apocalypse selon Saint Jean, chapitre 8:
"Et lorsque l'Agneau ouvrit le septième sceau, il se fit un silence dans le ciel d'environ une demi-heure.
Et je vis les sept Anges qui se tiennent devant Dieu ; on leur remit sept trompettes, et à chaque retentissement, un fléau s'abat sur le monde."
Dans lespace spirituel de cette demi-heure, au moment où le secret du ciel est en instance de révélation, Bergman nous narre l'aventure dun chevalier revenu de la Croisade, Antonius Block avec son fidèle écuyer Jons. Il apparaît de nulle part, rejeté par la mer sur la grève, de même qu'ex nihilo apparaît son adversaire la Mort.
Après les combats en Terre sainte, de nouvelles épreuves lattendent : la peste, la guerre civile, la famine, les principaux maux du Moyen Age qui annoncent la Parousie.
"A peste, a bello, a fame, libera nos domine" psalmodie la procession des flagellants. Le "Dies irae" est proche et chacun de se débattre dans un monde à la dérive où la foi hystérisée recherche des boucs émissaires, jeunes filles désignées comme sorcières à livrer au feu purificateur, tandis que Dieu se tait, renvoyant les hommes à leur néant et à leur vaine quête de sens.
Bergman met en scène la fin au sens le plus large, pas seulement, la fin de lhomme et la fin du sens de la vie que chacun recherche mais aussi la fin de Dieu. Seule la mort est certaine. La voilà, apparition glaçante avec laquelle le chevalier entame une partie déchecs pour gagner du temps et tenter de savoir si Dieu existe. Puissance visuelle, théâtralité, épure et stylisation du noir et blanc : noir de la cape qui enveloppe la sinistre Mort au visage de clown blanc, si peu traditionnelle et nous livrant la vision personnelle de Bergman à côté des représentations classiques quen donne le Moyen Age et que reprend le film sur les fresques des églises, les gobelets, les danses macabres. Tout dans ce film confine au plus grand symbolisme, la lenteur de la gestuelle épouse la quête vaine du sens.
"A la fin du film, le chevalier n'a pas eu accès à la révélation. Ses rencontres terrestres se sont avérées décevantes entre l'écuyer athée, l'esprit qui nie, et le jongleur innocemment chrétien, sorte d'Adam d'avant la chute qui a la Grâce mais ne le sait pas. Ces deux pôles délimitent le terrain de son questionnement. Mais lui cherche une foi consciente à la mesure de l'homme réel et c'est pour cela qu'il s'est mis en tête de converser avec la Mort, face à face avec Dieu. C'est toujours l'obsession bergmanienne, même s'il n'y a pas de Dieu, pas de figure visible dans l'au-delà, il y a peut-être, au moins une vérité qui m'attend et dont je ne serai plus seulement condamné à voir le reflet."
REFERENCES
Joachim Huizinga, Lautomne du Moyen Age, traduit du hollandais par J.Bastin, préface de J.Le Goff, éd.Payot, 2002.
http://www.histoire.presse.fr/livres/les-classiques/l-automne-du-moyen-age-de-johan-huizinga-01-02-2001-5735
« Norman Cohn (1915-2007), historien britannique qui vient de décéder, a consacré à cette question lessentiel de ses recherches dès la fin de la deuxième guerre mondiale. Dans The Pursuit of the Millennium (en français, dès 1962, sous le titre Les Fanatiques de lApocalypse), publié en 1957, Cohn apporte une première réponse à cette question. Il y raconte comment différents mouvements millénaristes, entre le XIe et le XVIe siècle, ont convaincu certaines franges de la population pauvre que lamélioration de leur condition devait passer par lélimination de groupes déterminés les riches, le clergé ou les juifs selon les cas.
Pour Cohn (édition de 1957), les deux grands courants autoritaires et révolutionnaires de ce défunt vingtième siècle, nazisme et communisme seraient des réminiscences directes de ces révolutions mystiques du moyen-âge. Sans faire lamalgame entre ces deux régimes, ils possèdent néanmoins des caractéristiques communes : les conditions socio-économiques de leur apparition, lavènement prochain dun âge dor (la société communiste et le Reich de mille ans), ce dernier passant par lextermination des «méchants» (taxés qui desprit bourgeois, qui de judaïsme). », source : http://www.politis.ch/carnets/2007/09/02/les-fanatiques-de-lapocalypse-norman-cohn/
Extraits du film de Bergman , Le chevalier et la mort sur la grève : https://www.youtube.com/watch?v=AtlRmHH3UxA
Prolongement musical : Totentanz (danse macabre ) de Liszt , interprétée par N.Freire au piano :
http://www.youtube.com/watch?v=2zIu2IMRMhQ
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