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Sois le plus souvent silencieux, ne dis que ce qui est nécessaire et en peu de mots (Epictète) par Abicyclette

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Je rêve d’un mot, un seul, qui pourrait tout dompter parce qu’il dirait tout de cet instant, parce qu’il le contiendrait intégralement : ce calme illusoire, ce goût dans la bouche et cette anxiété aux entrailles, ces doutes à vibrations sourdes, ce gris d’où goutte à goutte une vie réglée qui pourtant ne mène - où ? - personne n’est là pour le dire, ni parent, ni ami, ni thérapeute, alors je rêve d’un mot, d’un seul, qui suffirait à désigner parfaitement cet instant, ne serait-ce que pour l’arrimer au réel (comme c’est peu demander !), et pourtant je n’ai jamais été capable de circonscrire à un simple point l’écheveau incompréhensible, les dislocations filamenteuses qui suintent autour de mon centre (ce centre que je m’approprie et dont je me demande s'il n'est pas factice) le calme illusoire, le goût dans la bouche et l’anxiété aux entrailles, j’essaye au moins de chercher le mot, fixant peu à peu tous ces trucs, ces machins, ce bric-à-brac de moi-même, constituant par là une phrase éclose du mot rêvé comme un ver sortant d’une pomme qu’il prétendrait ensuite incorporer entièrement - ce pourquoi la phrase s’allonge sans mesure, une logorrhée tortillant sous mes doigts, je ne peux plus me résoudre à y mettre un terme - alors je continue à écrire pour ne pas abdiquer en cours de route, pour ne pas rester une fois encore dans la camisole de cette hébétude qui suit les renoncements, et c’est ainsi que la phrase ne cesse plus de tourner autour du mot rêvé, ce simple mot qu’il suffirait d’éructer une bonne fois pour savoir qu’au moins, en cet instant j’ai conquis ma fixité, je poursuis en laissant choir sur la page tous les autres mots - les mots vains, les mots sans poids, les mots stériles - qui viennent la grossir sans arrêt, mais qui ne gonflent qu’une phrase se perdant en chemin, des flocons tombent sur sa pente enneigée, on ne distingue plus ni le pourquoi ni le comment, on n’y retrouve plus rien du rêve qui l’a fait naître, et pourtant ça doit faire des décennies que je le cherche, des décennies à le sentir si central mais si inabordable – j’ai cru parfois en devenir marteau - c’est pourquoi j’ai commencé il y a peu à tenter de le cerner par l’écrit, et voilà une nouvelle tentative, bien qu’à chaque fois je me sois fourvoyé dans des culs-de-sac, des dilutions, des artifices, des tangentes, et pire : des lieux communs, et aussi quelles autres stupidités dont je n’ai même pas conscience !, et plus encore maintenant où je suis entraîné dans cette phrase comme dans une déclivité de plus en plus raide, dévalant vers quelque chose de terrible, une avalanche d’inanités qui emporteront tout, ma raison la première, alors que l’angoisse insinue plus que jamais ce goût dans ma bouche, cette anxiété dans mes tripes, cette peur sur ma nuque, et le « que puis-je faire à présent ? », oui que reste-t-il à faire quand tout contrôle est perdu, pas un muscle ne bouge mais la sueur perle partout, c’est l’angoisse qui me prend en son entière possession, oui que faire si ce n’est y mettre un point et même trois, pour tenter d’en finir sans en finir, en quémander la suspension...

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