Je rêve dun mot, un seul, qui pourrait tout dompter parce quil dirait tout de cet instant, parce quil le contiendrait intégralement : ce calme illusoire, ce goût dans la bouche et cette anxiété aux entrailles, ces doutes à vibrations sourdes, ce gris doù goutte à goutte une vie réglée qui pourtant ne mène - où ? - personne nest là pour le dire, ni parent, ni ami, ni thérapeute, alors je rêve dun mot, dun seul, qui suffirait à désigner parfaitement cet instant, ne serait-ce que pour larrimer au réel (comme cest peu demander !), et pourtant je nai jamais été capable de circonscrire à un simple point lécheveau incompréhensible, les dislocations filamenteuses qui suintent autour de mon centre (ce centre que je mapproprie et dont je me demande s'il n'est pas factice) le calme illusoire, le goût dans la bouche et lanxiété aux entrailles, jessaye au moins de chercher le mot, fixant peu à peu tous ces trucs, ces machins, ce bric-à-brac de moi-même, constituant par là une phrase éclose du mot rêvé comme un ver sortant dune pomme quil prétendrait ensuite incorporer entièrement - ce pourquoi la phrase sallonge sans mesure, une logorrhée tortillant sous mes doigts, je ne peux plus me résoudre à y mettre un terme - alors je continue à écrire pour ne pas abdiquer en cours de route, pour ne pas rester une fois encore dans la camisole de cette hébétude qui suit les renoncements, et cest ainsi que la phrase ne cesse plus de tourner autour du mot rêvé, ce simple mot quil suffirait déructer une bonne fois pour savoir quau moins, en cet instant jai conquis ma fixité, je poursuis en laissant choir sur la page tous les autres mots - les mots vains, les mots sans poids, les mots stériles - qui viennent la grossir sans arrêt, mais qui ne gonflent quune phrase se perdant en chemin, des flocons tombent sur sa pente enneigée, on ne distingue plus ni le pourquoi ni le comment, on ny retrouve plus rien du rêve qui la fait naître, et pourtant ça doit faire des décennies que je le cherche, des décennies à le sentir si central mais si inabordable jai cru parfois en devenir marteau - cest pourquoi jai commencé il y a peu à tenter de le cerner par lécrit, et voilà une nouvelle tentative, bien quà chaque fois je me sois fourvoyé dans des culs-de-sac, des dilutions, des artifices, des tangentes, et pire : des lieux communs, et aussi quelles autres stupidités dont je nai même pas conscience !, et plus encore maintenant où je suis entraîné dans cette phrase comme dans une déclivité de plus en plus raide, dévalant vers quelque chose de terrible, une avalanche dinanités qui emporteront tout, ma raison la première, alors que langoisse insinue plus que jamais ce goût dans ma bouche, cette anxiété dans mes tripes, cette peur sur ma nuque, et le « que puis-je faire à présent ? », oui que reste-t-il à faire quand tout contrôle est perdu, pas un muscle ne bouge mais la sueur perle partout, cest langoisse qui me prend en son entière possession, oui que faire si ce nest y mettre un point et même trois, pour tenter den finir sans en finir, en quémander la suspension...
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