"Autrefois, quand la Terre était solide, je dansais, j'avais confiance. A présent, comment serait-ce possible ? On détache un grain de sable et toute la plage s'effondre, tu sais bien."
Elle est devenue liquide ma terre sous mes pieds. Ai-je encore seulement des pieds ! qui tiendraient toute leur place sur la surface du globe et avanceraient petits pères pénards insouciants et vagabonds, à travers rondes et chemins, un coup à droite, un coup à gauche, reculant parfois pour mieux sauter !
Ai-je seulement encore toute ma tête ? L ' Alouette. Elle s'est bien déplumée. On finit toujours "par peler du cerveau et on sait qu'on pèle, c'est le plus triste." Et mes souvenirs, même les plus beaux, s' échappent, et se répandent en copeaux si fins que je ne peux plus les toucher, ils m'échappent surtout, en sciure de souvenirs mous, en chiures de mouches laissées derrière comme dirait quelqu'un. Tenez, même mon plus riche souvenir, un amour fou, convulsif, magnifique, solaire ! eh bien, je l'ai perdu... Je m'en souviens en me retournant un peu sur le côté. Il y a bien encore quelques senteurs de pomme verte et de tabac anglais...quelques vagues de tendresse, un peu d'écume sur les lèvres....mais de cette frénésie, de cette folie, il ne me reste que de la poussière, quelques étoiles, un peu de cendres....
Je me suis efforcée, tout ce temps, tu le sais, d'entretenir les braises. Comme on tient un sanctuaire. Une bougie parfumée par ci, quelques fleurs mauves par là....une prière, une chanson, deux ou trois larmes...Célébration vaine, il ne se passe rien. Les dieux ont abandonné la place. Il va falloir balayer . Les feuilles mortes....c'est bien vrai, se ramassent à la pelle...
"Quand le malheur tire son fil, comme il découd, comme il découd ! " . On en découd de même. Chacun son tour. Ce n'est plus cependant le même verbe qu'au début, alors qu'il s'agissait alors, d'en découdre, pour de bon ! C'était "Paris, à nous deux !" et pas seulement Paris : c'était ..le Monde entier , à nous deux ! Et me voici désormais immobile, enfermée, au milieu de "ruines circulaires".
De tes doigts, ne coule aujourd'hui que du sable. Autrefois, des étincelles jaillissaient de tes mains magiciennes ! Il ne fallait pas partir. Il ne fallait pas "nous" quitter si tôt. Gentil coquelicot Madame..."il y a un trou à la place du coeur", et des pétales de sang en cicatrice. Il y a partout des pétales froissés de fleurs mortes, au milieu des copeaux.
Je croyais aller là-bas. Je suis restée ici. Comme un voyage qui n'aurait pas eu lieu. Et les continents que je croyais fixes, ils dérivent, ils dérivent. Ces grands "radeaux de pierre" n'en finissent pas de s'écarter et d'ouvrir des abimes...et des abysses où je me fonds.
Il n'y a plus de repères. Les grands voiliers blancs ensevelis continuent de cingler , mais les vents sont contraires au-dessous de la mer, et j'ai manqué tous les départs.
"Hier, tu n'avais qu'à étendre un doigt. Pour nous deux, pour tous deux, tu n'avais qu'à étendre un doigt".
Des guillemets -Guillaume Guillemette Guillemots (n'est-ce pas Elena)- pour Henri Michaux, et son Plume lointain et intérieur
pour l' image du" Bonheur dans le pré" de Paul Fort qui saute par-dessus la haie
pour la beauté "convulsive" de Nadja chez Breton
pour le "Paris à nous deux" de Rastignac merci Balzac
pour Borges et ses "ruines circulaires",
pour la pauvre "Alouette Alouette" qui se laisse plumer
pour la "Tête Raphaëlesque éclatée" de Dali, que j'ai vue un jour en vrai et qui m'a sidérée
http://www.nationalgalleries.org/collection/artists-a-z/D/3035/artist_name/Salvador Dalí/record_id/240
pour le coeur rouge du "Dormeur du Val" de Rimbaud
pour des "Feuilles Mortes" de Prévert
pour l' image inspirante du "Radeau de pierre" de Saramago
et pour les grands voiliers blancs......tout simplement; qui croisent en silence, au large de la Côte Bleue
aussi pour la musique si triste et si belle de Schubert
http://youtu.be/Bm_AKMV0ME0
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