Un jour, passant devant une librairie du dix-huitième arrondissement, je fus attiré par un livre exposé dans la vitrine : « La politique du rebelle ». Y avait-il encore des rebelles ? Avaient ils une politique ?
Depuis que javais entamé mon isolement et mon refus du monde, je navais plus aucun intérêt pour la vie politique du pays. Les bonimenteurs politiciens de tout poil, se branlant lesprit, avec laide de journalistes condescendants, sur la couleur de la cravate présidentielle me laissaient de marbre. Les marécages puants, où nageaient des crocodiles affamés comme mon frère Emmanuel, ne me disaient rien qui vaille.
Et pourtant, devant ce livre dans la vitrine, comme par enchantement, lancienne passion se ralluma. La politique du rebelle, mon dieu que ce mot métait doux ! Jachetai le livre. Je le feuilletai à Barbès. Jentamai la lecture au Père Lachaise. A Nation jen goûtai tout le miel. A République je décidai que je lirais tous les autres livres de lauteur. Ainsi je dévorai « La sculpture de soi ». Je plongeai dans « Lart de jouir ». Je me délectai avec « Cynisme ». Je ressentis une forte émotion et compassion avec « Le désir dêtre un Volcan ». Je brûlai toute mes mauvaise humeurs, je purifiai mon sang avec « Les vertus de la foudre »
Etrange, je commençai à me sentir sur la voie de la guérison. Jentrai en convalescence. Après la désillusion et lamertume que mon frère mavait procurées, voici le baume apaisant ! La vie mavait filé le cancer de lâme, les livres que je venais de dévorer stoppaient la métastase ! Un livre peut nous guérir !
Jétais impuissant, malheureux, sacrifié, utilisé, soumis, nombre et objet dans la marche folle du monde. Jétais matériel et matière première comme tous mes semblables. On mavait obligé au silence, dépouillé des sanglots de ma jeunesse, plié sous la violence des temps. Jétais noyé dans le mépris du monde, déchiré jusquà la dernière fibre de mon âme. Miracle de cette lecture : me voilà, à nouveau, avec lenvie dêtre un rebelle. Un brin de printemps inattendu. Il me tombe sur la tête sans crier gare. Dabord il massomme, et me plonge dans le brouillard. Au réveil je savoure létat de la convalescence ave la certitude de la guérison !
Quoi de mieux quune convalescence pour lire ? Et je cherche Chamfort, Sade, Fournier, Holbach, Helvétius, dans mes rayons depuis longtemps abandonnés. Jenlève la fine poussière déposée par le temps sur les couvertures. Je relis ! Jai envie de goûter à nouveau aux cadeaux de la vie ! Cette vie mutilée par les autres et par moi-même. Plus de mutilations, au contraire, je veux quelle soit simplement solaire. Je commence à guérir ! Sois maître et sculpteur de toi-même
change constamment en lumière et en flammes ce que tu es, ainsi minvite à être la lecture de Nietzsche !
Je sens un feu étrange brûler en moi ! Je me dégage de ma grisaille, de la fumée purulente infiltrée dans ma forteresse. Encore un effort, Marc ! Romps tes propres chaînes ! Sois dans le jubilatoire ! Vas-y, élance-toi dans les rues !
Les corps des femmes recommencent à me parler. Des ondes naissent de ces corps désirables et viennent me frapper au plexus. Et je bande à nouveau en regardant une femme assise croisant les jambes à une terrasse de café. Me voilà suivant une de ces belles plantes qui arpentent les rues de la capitale en tailleurs sexy et bas affriolants. Je respire son parfum, je menivre de ces odeurs de femelle qui donnent goût à la vie.
Des forces étranges remuent dans mon esprit. La terre, à l'approche du printemps, doit ressentir la même chose lorsque perce-neige et coucous tracent un chemin vers la lumière. Légers tressaillements, douces secousses qui n'ont rien de tellurique. Me voilà en état de recevoir quelques agréables sensations que le monde extérieur avait cessé, depuis longtemps, de me donner.
Presque guéri, je suis à nouveau disponible pour m'ouvrir au monde !
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