Je pus ainsi, du plus profond de mon obscurité pousser mes fantasmes vers labsolu, vers la clarté. Je me donnai lillusion de briser ainsi, étrange manière, la réalité de tous les dangers.
Jour après jour je bâtissais mon uvre. Quelles forces brûlais-je dans cette construction ? Quel gaspillage dénergie ? Cette dépense négative de moi, devenait une sorte de luxe, un raffinement aristocratique, une solitude précieuse, flamboyante. Me voilà nouveau dandy égaré dans une caserne universelle. Mon refus du monde me tenait lieu de révolte. Je croyais mapprocher du cur de la fission, connaître lexplosion extrême, atteindre la lumière. Un lieu où tout homme pouvait se désintégrer.
Je mis en place un catalogue de commandements. Je rédigeai une mini-constitution pour ma république solitaire.
« Je menfermerai sous un épais silence. De sa lourde couverture je ferai une tombe qui me défendra contre les bruits du monde.
Je fuirai tous les lieux où règnent les femmes. Je fuirai boutiques, cafés, restaurants, salles de spectacles et lieux de vacance.
Je boucherai mon nez pour ne pas sentir lodeur animale des femelles qui cherchent lhomme.
Sil marrive de prendre la parole en public je ferai état de la plus grande prudence.
Jéviterai les conflits qui trouvent leur source dans le Verbe.
Jappliquerai, partout, la politique de lescargot : sortir les petites cornes pour massurer quil ny a pas dobstacle, pas de dangers.
Javancerai dans la vie doucement, lentement. Je biaiserai. Jeffectuerai des demi-tours si nécessaire, mais toujours lentement.
Une certaine dose de surdité me siéra pour ne pas entendre les mots des hypocrites.
Jirai lentement vers la cécité pour ne pas voir, sous les habits étincelants, la vulgarité, lignominie, la lâcheté, lamour sali, la vénalité.
Je ne lirai plus dans les curs humains. Il ny a plus dhumanité, ni dhommes. Ils ont été remplacés par des individualités animales.
Je dirai mes sentiments profonds au lézard qui se chauffe au soleil du printemps. Je confierai mes secrets à lhirondelle qui senvole vers lAfrique en automne. Je la prierai de les lâcher avec ses fientes dans les forêts équatoriales. »
Certains animaux se défendent en attaquant, en montrant griffes et dents, dautres sadaptent au milieu par leur mimétisme. Je ne souhaitais ni férocité, ni mimétismes. Sil fallait être un animal, il valait mieux être une marmotte. Dormir, hiberner, tant que sur la terre existeraient les effets de la Peste Rouge et de la COM.
Pas de relation. Pas de combat. Pas de conflits. Mettre en veilleuse ma subjectivité. Désamorcer ma charge vitale. Éteindre ma libido. Enfermer Eros dans un coffre-fort. Me replier sur moi-même. En autonomie. En autarcie. Les vagues des marées océaniques sapprêtaient à mettre bas le monstre suprême. Je ne voulais plus un horizon si proche et si funeste.
Comme laraignée qui tisse sa toile, javais fini par construire ma forteresse. Je croyais que cen était une. Cétait un léger cocon, faible, provisoire, où venaient se prendre mouches, moucherons, et autres minuscules insectes, ainsi que les plus venimeux déchets de la nature. Contre ce misérable cocon, contre ce minable château de sable, tous les déchets de la société venaient toujours sabattre en faisant trembler le fragile édifice. Je croyais misoler, mais Thanatos cognait.
Les souvenirs, comme une nuée de sauterelles, sabattaient contre le bâtisseur qui se donnait tant de peine à sisoler. Ayant à peine mis hors de nuire lennemi extérieur, du moins je le croyais, voilà que je me faisais attaquer par lennemi intérieur !
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