Pourquoi cette génération basket, qui aurait dû être le témoin, en cette fin de siècle, du rêve, de l'espoir, se retrouvait-elle à létat de fantômes, d'ectoplasmes ? On ne pouvait plus expérimenter les rêves, les désirs, les utopies ? On ne pouvait plus essayer de les faire devenir réalité ? Quel vent de folie, quelle bourrasque magnétique, quelle révolution génétique, quelle alchimie philosophique, morale, religieuse, avaient pu transformer cette jeunesse en robots métalliques ?
Ces jeunes se baladaient avec des cauchemars dans leur tête. Ils se promenaient avec attachés-cases ou petits sacs à dos suspendus aux épaules, suivant la tribu dappartenance. Filles et garçons, les voilà partis pour l'ultime voyage. Dans ces petits sacs et attachés-cases, il n'y avait que refus de rêver, que de la rave, du crack. Le tout merveilleusement orchestré par des technocrates vampires qui se livraient à la déshumanisation tout en prêchant l'émancipation. Technocrates robotisés qui construisaient un génocide social sans besoin de camps de concentration. Tout devait être foudroyant, électrique, comme la montée du CAC 40
Javais de la piété, transformée en colère par moments, pour cette minorité décologistes hirsutes et débraillés voulant sauver la terre. A quoi bon ? Sauver la nature ne servait désormais plus à grand chose, puisque l'humain était en voie de disparition. Comment pouvaient-ils être aveugles à ce point pour ne pas voir la crucifixion des esprits par les forces déchaînées de la COM et pleurer pour un oiseau blessé ? A quoi et à qui servirait le doux chant du rossignol si lhumanité subissait chaque jour une clochardisation spirituelle accélérée ?
Ces regards vides qui n'accrochaient rien ! Ces yeux injectés de haine abstraite et d'indifférence à tout ! Regard absurde, donnant toutefois l'impression de vouloir percer les vitres des rames du métro ! Regard s'enfuyant vers un horizon que même l'imagination la plus folle ne pouvait pas concevoir.
La perte du verbe, la haine des mots ! Il ne leur restait que quelques expressions toutes faites qui roulaient et se répétaient dans leur bouche :
« Ben. Tu vois. Alors là. Moi. Voilà »
Cette fin de siècle obscure voulait-t-elle, dans son organisation, une violence multiple qui empêchât les jeunes de pouvoir la désigner, la nommer, sinon par des onomatopées d'animaux blessés qui tentaient d'inventer un nouveau langage ? Parole brisée par la violence du monde. Sans les mots le corps exprime ses maux : percing, tatouage, regard perdu, pâleur des visages. Ils exprimaient ainsi des urgences sauvages et primitives pour s'approprier un monde qui les rendait, par sa violence, objets ou esclaves ? Langue brisée, refoulée ? Aveugles, cherchant à tâtons, dans les recoins ombragés, un rayon de soleil dont ils n'avaient jamais connu ni lever ni coucher. Langue clandestine, langue réfugiée ?
Symboliquement le piercing s'installait sur la langue devenue parking pour métaux inanimés, sans paroles. La jeunesse, en panne de mots, avait du mal à nommer les cancers des villes. Elle avait du mal à nommer l'universel.
Ces sons gutturaux, ces phrases coupées, hachées, sans sujet, sans verbe, annonçaient-elles le début de la barbarie ? Javais lu, je men souviens, une déclaration à propos des langues, dun conseilleur du président du Grand Etat Modèle et elle mavait fait froid dans le dos : «
Le progrès cest le déclin des cultures particulières. Les éléments subversifs des cultures sont les langues, les croyances idéologiques et politiques. Les cultures quil convient de promouvoir sont la nourriture, les vacances, les rituels, la musique. Dans cette perspective si le monde se dirige vers une langue unique, celle-ci doit être celle du Grand Etat Modèle. »
La langue était une arme libertaire et non liberticide. La langue libère l'esprit, l'ignorance l'enferme. Voilà ce que jaurais voulu opposer au démagogue dont je fais mention. Mais jignorais que dans la déclaration du conseiller il y avait, en partie, le programme de la COM réduit à sa quintessence maléfique.
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