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Tout connaître d'une personne et l'aimer!? par Lieder

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Cet opéra composé en 1911 par le hongrois Bela Bartok est à mon goût trop peu cité, connu et joué. Avec une durée d'exécution proche d'une heure seulement et deux solistes à peine, un baryton et une mezzo-soprano (l'héroïsme d'un ténor et d'une soprano serait bien déplacé dans ce duo ou plutôt ce duel qui voit Barbe-bleue et Judith pourtant amoureux l'un de l'autre, se blesser et se condamner à la solitude la plus glaciale), et un orchestre omniprésent sans être écrasant, Bartok parvient à créer un torrent d'émotions que je n'ai jamais ressenti dans aucune autre oeuvre lyrique. L'argument est très simple, Judith a quitté sa famille pour vivre avec Barbe-bleue, de terrible réputation. Entrée dans sa demeure, elle ne peut que le plaindre; comment a-t-il pu vivre seul dans ce château sombre et humide? Elle se propose d'y laisser entrer la chaleur, l'air et la lumière. Pour celà, elle lui réclame successivement 7 clés ouvrant les 7 grandes portes fermées à l'intérieur de son château. L'ouverture de ces portes, chacune cachant un lieu symbolisant une part de la personnalité, des sentiments et des souvenirs de Barbe-bleue, scande donc l'opéra. Chaque ouverture de porte suscite une émotion très particulière et très puissante chez les deux personnages et les auditeurs. A chaque lieu ainsi révélé correspond une couleur (à l'écoute de cette oeuvre, on serait tenté de croire Olivier Messiaen lorsqu'il disait qu'il voyait dans les notes et les accords de musique, des couleurs, et vice-versa), une ambiance musicale et un traitement orchestral singulier et pertinent. Evidemment, ici, pas de 'happy end', ou plutôt de 'lieto fine' pour utiliser l'italien que l'on dit langue de l'opéra. Mais après l'écoute de l'unique opéra de Bartok, on peut ajouter le hongrois à la liste des langues magnifiées par l'art lyrique. Bartok, un des plus grands compositeurs de l'histoire de la musique, fait un usage raisonné et pertinent de la dissonnance (quand le sang suinte des objets ou lorsque Judith pense devoir envisager le pire), recycle des éléments des musiques folkloriques (chez Judith, je reconnais parfois le côté un peu railleur de certains chants traditionnels roumains ou bulgares) qu'en grand ethno-musicologue, il recueillit et enregistra durant sa carrière. Pour finir, je livre cette citation (de qui, je ne m'en souviens plus) terrible, glaçante, fondée(?) qui me vient à l'esprit chaque fois que j'écoute cette oeuvre ou y pense : "On ne peut pas tout connaître d'une personne et l'aimer."

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