On a beau être c'est vrai plutôt robuste en fin de compte, on a beau avoir une chance pas croyable et n'y pas croire et pourtant la toucher de la main tous les matins devant ce ciel, lorsqu'il bascule dans la transparence et qu'il laisse venir les lointains, les sommets finement bleutés, on a beau, on a beau.
On a beau savoir au profond qu'au fond on n'est rien que poussière et que c'est bien, éphémère rencontre de poussières qui se déferont aussi, on a beau avoir su ça plusieurs fois déjà plusieurs fois fugitives, on a beau.
On a beau n'avoir plus tellement peur puisque le pire, puisque le souffle du boulet, puisque après tout rien de si grave, rien de plus grave, rien de moins.
On a beau savoir maintenant, après tout ça, après tout on a beau savoir jouir à peu près de tout ce qui passe. Savoir faire ça, comme on sait faire les pâtes fraiches, les tartes aux pommes, et les champignons des pins au vinaigre et à l'huile, voilà, la joie est affaire de tour de main, c'est ça. On a beau avoir tant à faire, et pas le temps pour le chagrin pas le temps.
On se retrouve quand même en larmes parce que cette chanson de Piaf soudain, parce que "laissez-le moi encore un peu", on chiale, on se doute un peu d'où ça vient, ce flot d'angoisse, ce chagrin, on se souvient qu'on n'y peut rien.
Cette impuissance me colle le vertige, je pourrais bien m'y laisser basculer. Une sorte d'extase, mais sans euphorie.
Mais j'ai les pieds collés au sol et plus tellement de larmes en réserve, le soleil s'est levé, et le vent, aussi, et l'insouciance.
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