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La Patience de l'Archange. par Christensem

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Un bruissement d'étoffes en vagues poussièreuses, un concert de banquettes rapant sur le dallage et voilà la foule à nouveau debout. Bien calée dans sa torpeur empesée. La profusion de calvities, de poivre et de sel emmitouflés de noir me désenchante doucement. Je nous pensais plus jeunes... c'est dingue comme le temps à passé ! Pour échapper aux petites rêveries tristes et mélancoliques qui me harcèlent depuis le départ de Karl j'ancre bien mon attention au plâtre des statues. Dans un chaos de compassion pétrifiée, du regard ou de l'index, leur tribu au complet me bombarde vers le ciel... Tous sauf Gabriel. De la pointe d'une épée de fer blanc, l'Archange insiste patiemment en désignant le rang sur ma gauche. Sa prunelle polychrome me gratifie même d'une œillade taquine. Curieux de cet intérêt qu'il ne porte qu'à moi seul... J'obtempère discrètement en me penchant un peu... Et là, de l'autre coté du damier de l'allée... Je l'aperçois. Pour la première fois. Tout au moins ses mollets. Nus. Fragile apparition de chairs dorées dans la débâcle de pantalons mous et de bas livides. Perchée sur des chevilles irréprochables, sa robe à fleurs éclabousse d'impudence tout le premier rang. Le menton planté dans mon col, un instant je savoure le spectacle. Pieusement. Puis rassasié de recueillement et de rondeurs je me décide enfin à dévisager l'offrande. Du bronze sous la peau, de l'ébène en boucles plein la nuque, il n'y a qu'une seule créature pour flamboyer comme ça ! Angéla … Angéla la femme de Karl est revenue ! J'inspire un grand coup et laisse mes pensées franchir les quelques pas qui me séparent d'autrefois... Combien de temps depuis la fac ? Ces années là nous poussions nos vingt ans au fond des mêmes amphis. Au bout des mêmes bancs. Griffonnés au dos des polycopies, nos plus belles arabesques, nos premiers vers étaient toujours pour elle. Mon imagination lézarde dans les plis serrés de sa robe. Au milieu des fleurs alanguies je m’égare. Comme avant. Au jeu du chat et des sourires Karl et moi n'avions de cesse que d'appâter ses frissons. Et tour à tour l'attirer sous nos draps… Une métisse pas farouche pour les chasseurs de rêves que nous étions alors…. Et puis un jour elle a choisi. A lui le visage griffé par le riz sous le porche de pierre. Les sonnailles de bronze au dessus du cortège. Les longues tables de ripaille sous les pommiers en fleurs. Et ses dentelles brulantes tout au bout de la nuit. A moi les remords de ne pas avoir su lui avouer. Combien elle comptait. Elle s’est lassé de lui. Trop souvent délaissée. Insatiable renard Karl musardait la nuit. Coursait d’autres émotions. Des bouches irrésistibles, des promesses ensorceleuses et des soupirs inconnus. Et elle a déserté. Un harmonium s'est mis à chevroter derrière la foule. Quelques fausses notes pour les faux pas de Karl. Je contemple Angéla. Ses épaule délicates. Ses mains aimantes. Plein de compassion pour l’émoi qui me ravage le cœur l’Archange a fait sonner son glaive sur sa stèle. Angéla se retourne... Au détour d’un sourire étonné, me découvre... Une grimace mutine et nous voilà déjà au seuil d'une vieille impatience. Une absence persistante qui daterait de la veille. Un peu creusé par les années de doutes, son visage s’est embelli d'une douce sagesse. Une beauté qui balance paisiblement entre deux saisons. Quelques printemps de plus sur la pointe des pieds, ne lui ont pas fait perdre ce charme emprunté qui nous affolait tant. Elle rode déjà sous ma peau. Rapine dans mes souvenirs.... Déchire ma mue et renait de mes délires. Avec des gestes amples et solennels le prêtre vient de mouliner son encens autour du cercueil... le cuivre grince, les cierges tremblent. Je la revois sur le plancher de ma chambre agenouillée au milieux des bougies. Embusqués derrière sa frange, ses yeux noirs me défient. Espiègles et diaboliques. Arrimée à mon sexe. Les joues creuses et gourmandes. Pendant qu'elle s'applique généreusement, à le biberonner. Nous adorions jouer. De nos corps et de notre jeunesse. Alors qu'elle se glisse dans l'allée pour la bénédiction du corps, parmi les traine-chagrins on n'entend que son pas qui monte jusqu'aux voutes. Je ne peux m'empêcher de caresser des yeux sa longue silhouette. Cette liane où je pendais ma raison les nuits de grand sabbat. La cambrure de ses reins fait une jolie virgule entre nos ébats d'antan et mes derniers fantasmes. A peine contrarié par la tristesse ambiante je m'enivre déjà des parfums d'encaustique de ce confessionnal. Des grincements cadencés de ses boiseries patinées et des remous du velours qui veille sur nos secrets, je ne garderais qu'un instant. Celui où elle chuchotera. Que c'est moi qu'elle aimait. Après tout, ce grand couillon de Karl, dans sa boite en sapin n'y pourra plus grand chose ! Un jour de chasse et de fatalité. Refroidi par un pauvre chasseur de lapin. Pour un renard comme lui... C'est quand même quelque chose ! http://www.youtube.com/watch?v=kZ2V9w9W6aY

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