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Froissements et soupirs par The Dreamer

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Un livre est un objet vivant. Par procuration, sans doute. Lorsque nous le laissons de côté, pris par le temps, il est là, qui nous regarde vivre, simplement, sans un mot… Il attend. Que l’on passe à nouveau le voir. Quand ? On ne sait jamais. Lorsque le temps de lire est de retour, un espace s’ouvre dans l’esprit, comme un besoin de voyager, de s’évader du temps présent, un instinct refoulé qu’il faut à nouveau satisfaire. Le temps court plus vite que la satisfaction de notre désir de lire. Avide de partir, nous parcourons les rayonnages à la recherche de la destination qui saura le mieux nous extirper du quotidien. Nous en saisissons un. A quand remonte notre dernière rencontre ? Depuis, combien de temps est-il seul ? On ne s’en souvient pas. Lui, pourtant le sait bien. Ses pages ne bougent plus, mais, son cœur bat encore. Ce livre sur l’étagère, perdu au milieu d’autres soldats au garde à vous. Escadron protéiforme, des gros imposants qui poussent sans gêne les petits qui s’excusent d’être là, les grands qui se penchent parfois sous le poids de ceux qui les suivent et ceux qui s’empilent les uns au dessus des autres pour se tenir chaud. Ce livre acheté, on ne sait plus où. Dans une brocante peut-être. Silencieux, de n’être jamais lu. L’air vient parfois à lui manquer, mais, son sourire est serein, il sait qu’un jour notre regard se lèvera sur lui. Le soleil éclairera sa face et tout son monde s’éveillera. Nous l’avions ouvert, inquiet des premières pages, comme on l’est d’un amour naissant. Impatient d’interroger son silence. Sans parole, nous marchions dans sa nature et son histoire nous hantait petit à petit - Et le temps a passé. L’absence est une autre présence. Il est toujours là. Lui, qui jusqu’alors sous notre regard, s’assoupissait. Posé, immobile, indifférent, soudain il s’anime : sa couverture baille. Elle est la seule. Etrange. Il s’ennuie. Il ne veut plus dormir, se rebelle, crie et la repousse comme un enfant grincheux, que sa sieste prolongée, insupporte. Tout au dehors l’appelle, il veut vivre sa vie. Les herbes l’envahissent, cachant aux regards, le secret de son cœur. La veille encore nous ne nous étions pas aperçus qu’il parlait. Il voudrait bien crier, mais, aucun son ne sort. Le jour s’y engouffre, comme pour nous inviter à entrer à nouveau dans son monde. Mais, nous sommes têtus et le désir n’est pas assez présent. Alors, il souille ses linges, une longue traînée jaune d’usure, finit dans les buissons en contrebas. Comme pour nous dire : «Prends soin de moi !» - «Prends-moi dans tes bras !» Il veut vivre sa vie. Parce qu’il vibre, sous chaque syllabe, que dans le secret de notre cœur nous prononçons, silencieux et avides de mieux le connaître. Parce qu’enfin, lorsqu’à nouveau, on dénude son corps, qu’on le saisit entre nos mains, il peut à nouveau se confier à nous. Il respire mieux à chaque bruissement de page. Nous lui confions nos peines, nos joies, le temps où nous sommes. Il nous renvoie au sien. Il voit notre visage changé au fil des mots, nous contemplons le sien qui se dévoile, étale et pourtant foisonnant. Les livres sont d’espiègles enfants, qui ne demandent rien et ont tant à offrir. Je lis pour savoir, pour apprendre, pour comprendre, mais surtout pour me dépayser, pour rêver, pour vivre d’autres vies. Je pense que l’Art, peut nous éveiller à la beauté, en s’insérant dans nos vies, permettant dans une certaine mesure, de nous créer une existence parallèle au gris du quotidien. Une vie à côté de la vie. Aussi belle, à mesure que l'autre peut parfois être cruelle. Je vais chercher dans les livres, d’autres vies que la mienne, qui puisse me faire m’oublier ne serait-ce qu’un instant. Je voyage et parcours d’un regard des distances immenses, par-delà les pays et par-delà le temps, au milieu d’un silence, où chaque bruit de page me ramène au réel. Revenant à la vie, j’aperçois soudain l’ombre floue d’un visage, de cet autre moi-même, où passent invisibles toutes les émotions. Une petite main le caresse, passant sur lui comme pour le consoler (et le remercier) d’être là, sur l’asphalte fine et lisse. Simplement de passage. Une petite main d’enfant. Texte remanié réédition avril 2010.

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