Voici que la réforme des retraites arrive dans une situation délicate. Daniel Schneidermann le disait avant-hier : « Pour linstant, nous sommes au moment précis où le fleuve peut rentrer dans son lit, ou bien noyer le pays. Qui connaît la suite ? »
Le Sénat devrait finir de voter la réforme jeudi soir (ce soir) mais il faudra passer à la seconde lecture à lAssemblée nationale, de quoi encore laisser quelques (beaux) jours à ceux qui sy opposent.
Dun côté, entre un et trois millions de manifestants qui sillonnent régulièrement les rues urbaines (sans doute est-ce plus proche de trois que dun million) et qui carburent à lhuile de genoux.
De lautre côté, trois mille cent quatre-vingt-dix stations-service sans carburant sur les douze mille trois cents onze que compte France, selon les informations annoncées par Jean-Louis Borloo ce mercredi après-midi (hier) à lAssemblée nationale. Borloo nest pas encore Premier Ministre mais il a encore en charge les transports.
Depuis le début de la semaine, cela devient presque la jungle individualiste, en région parisienne : de nombreux accidents ont failli être commis par des imbéciles qui se sont précipités vers des stations-service encore approvisionnées. Faire coûte que coûte le plein, au risque dimprudences les plus incroyables.
Contrairement à ce quon peut imaginer, Sarkozy peut très bien retourner lopinion publique pourtant majoritairement contre la réforme des retraites. Car bientôt, il y a les vacances de la Toussaint et le besoin de rouler sera encore plus élevé. Il suffit de se rappeler le week-end de la Pentecôte 1968
Entre temps, on pourra entendre sans doute une fois encore le mot "otage" ("les automobilistes sont pris en otages par les grévistes des raffineries") en nimaginant pas une seule seconde quil y a, dans le monde, et en particulier en Afghanistan (mais pas seulement) des personnes réellement prises en otages dont la vie ne tient plus quà un cheveu.
On pourra aussi remarquer que par rapport à lautomne 1995, la société se montre plus individualiste : linquiétude de 2010 porte sur le réservoir de la voiture alors quen 1995, cétait le train le principal souci.
On pourra même imaginer un scénario catastrophe (que certains peuvent espérer et la majorité redouter) : Sarkozy mobilisant larmée pour faire évacuer les raffineries et "débloquer" le pétrole par la force (il paraît que les grévistes samuseront alors à crever les pneus des camions citerne) avec peut-être de réels risques (une raffinerie nest pas un lieu particulièrement sûr, chimiquement parlant). De Villepin a même dit mardi quil faut faire évacuer, comme il lavait fait à la Sorbonne en automne 2005. Il y a déjà lil dun jeune manifestant qui manque à lappel.
Lautre hypothèse, celle à laquelle veut croire le gouvernement, cest que les vacances, la lassitude (des manifestants, des grévistes, des automobilistes), et le vote définitif de la réforme des retraites au parlement vont ramener calme et ordre dans une société susceptible de sexciter un peu sans pour autant tout révolutionner.
Le carburant devient un sujet dinquiétude parce quon bourre les crânes de cette inquiétude : le week-end dernier, cétait lexemple type dune prédiction auto-réalisante : par peur de manquer, beaucoup ont voulu remplir leur réservoir, faisant baisser mécaniquement le stock.
Puisquon y est, je vous conseille aussi dacheter des réserves de sucre, farine et (pourquoi pas ?) chocolat. Le chocolat sera bientôt très rare (forcément, cest anti-dépresseur), y aura des fortunes à se faire, bientôt (jai en particulier des danettes au chocolat blanc que je compte revendre à prix dor).
Pendant ce temps, Nicolas Sarkozy visitait (jeudi dernier) le nouveau laser dun mégawatt qui fait partie du projet de simulation des essais nucléaires. Jimagine Super-Sarko avec une cape rouge et son épée laser rayonnante en train de sattaquer à la masse humaine des gens qui le détestent.
Je me suis alors amusé à mouliner sur google les deux mots : "station" et "laser".
Et devinez ce qui est arrivé en premier ?
Une pub pour une "station dépilation laser de téléshopping".
Jusquoù se loge la révolution
diable !
(Et vous, vous vous épilez aussi au laser ?)
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