Cher rocking par Sablaise1

C’est la Toussaint papa, je n’irai pas fleurir ta tombe. Toi tu as toujours eu les convenances en horreur et moi je n’ai pas besoin d’aller au cimetière puisque j’ai mon rocking cher. Tu ne sortais pas beaucoup les dernières années de ta vie, tu ne pouvais plus trop compter sur tes jambes.Alors je venais te voir tous les week-ends et nous passions l’après-midi à bavarder moi assise sur le canapé et toi dans ton rocking-chair. En fait le plus souvent j’écoutais et tu parlais car tout au long de ta semaine solitaire tu avais emmagasiné sept jours de découvertes, d’indignations et d’étonnements pour notre moment hebdomadaire. Tout ce que tu avais relevé dans les pages du Monde, à la télévision, à la radio et dans les livres. Tu passais très vite sur tes soucis de santé avec agacement et résignation, prenais de mes nouvelles et te lançais dans ce qui te passionnait. D’abord la politique. Tu ne te souvenais plus très bien des noms propres alors tu me disais avec ton léger accent espagnol « Lé ministre qui s’occoupe dé l’intérieur, lé pétit, (Sarkozy papa), oui cé ça Sarkozy, jé né peux pas lé blairer céloui-là, tou a entendou cé qu’il a dit à propos dé l’immigration ? Tiens jé té découpé l’article! ». Et c’était parti pour une heure de débat sur tout ce qui avait heurté ta pensée de communiste de toujours. Ensuite le sport. Comme nombre d’intellectuels, tu te passionnais pour le sport en particulier le foot et le cyclisme. Il m’arrivait de suivre matchs et courses avec toi. Tu étais un supporter enthousiaste des équipes de football française et espagnole et tu ne ratais pas une étape du tour de France même si les victoires répétées de Lance Armstrong qui appartenait au peuple abhorré, les Américains, te rendaient malade. Enfin tes deux autres sujets favoris, la science et la guerre d’Espagne. Je t’écoutais longuement m’expliquer une théorie scientifique complexe en pensant à autre chose, jusqu’au bout tu auras essayé sans succès d’intéresser ta fille à la science. Puis tes souvenirs de la guerre d’Espagne et de l’exil en France sur lesquels, après des décennies de silence, tu étais devenu intarissable. Quand tu es mort, j’ai emporté chez moi ton rocking-chair en me disant que je ne m’en séparerais jamais. Il est là dans mon salon et il lui arrive des tas de choses. Je lui parle, je l’informe que Sarkozy a été élu président, que Lance Armstrong a perdu le tour de France et que c’est un Espagnol qui l’a gagné, que la gauche a fait un beau score aux régionales, que les Espagnols sont champions du monde de football. Et je lui pose des objets dessus. Un livre récemment acheté sur la guerre d’Espagne, un commentaire sur le sujet publié sur pointscommuns, mais jamais rien de scientifique je crois que c’est définitivement râpé. C’est la Toussaint papa, je n’irai pas au cimetière avec un bouquet de chrysanthèmes. Je vais juste imprimer ce commentaire et le déposer sur mon rocking cher.