«La vraie liberté est de pouvoir toute chose sur soi !» - Michel de Montaigne. Etrange définition non ?
La notion de liberté serait un attribut de notre personnalité. Et cest en nous que se situerait cette «vraie liberté». Lauteur de ces mots semble nous amener à le penser, à lexpérimenter.
Il la juge comme consubstantielle à notre nature intérieure. Celle-ci se gagnerait par la connaissance de soi. Elle serait en quelque sorte la récompense dun cheminement opéré en soi.
Indirectement lauteur de ces mots nous invite à réfléchir sur ce quest la liberté Il nous trace le chemin qui peut nous permettre de lacquérir : «en ayant du pouvoir sur soi !» Autrement en conservant le contrôle de soi.
Ce faisant, il emprunte le même chemin que Socrate, marchant dans ses pas lorsquil enseignait à propos de linscription apposée sur le seuil du temple de Delphes : «Connais-toi toi-même et tu connaîtras lunivers et les dieux !»
Si lon admet la définition de Montaigne, on invalide demblée lidée que nous nous faisons communément de ce quest la liberté.
Il nest pourtant pas le seul à nous mettre en garde. Le sens commun attribué à la notion de liberté, contient en son sein, dès sa définition sa propre mort : «état dune personne dégagée de toute obligation» - La liberté comprise dans ce sens nexiste pas.
En suivant le raisonnement de lauteur, on peut estimer que si nous sommes «libres en nous», si nous pouvons atteindre la «vraie liberté» lorsque nous nous tournons vers notre intériorité, nous sommes donc prisonniers au dehors.
Daprès lui, on ne peut accéder au seuil ultime de la liberté que si notre quête se limite à notre corps physique et notre pensée Hors deux, pas de liberté qui vaille la peine dêtre estimée.
Voilà en substance ce qu'il dit : «Vous atteindrez à la «vraie liberté», à la seule condition que vous la cherchiez en vous !»
Ce faisant il trace une frontière invisible entre lindividu et le reste du monde qui lentoure. Dun côté, lhomme est libre, de lautre, il est entravé.
Ce que lun donne, lautre le reprend en un jeu constant où lindividu se trouve obligé de jongler, de confronter sa liberté native, naturelle aux exigences de la vie sociale.
Cette différenciation nest pas directement exprimée, mais, elle sous-tend le propos.
La définition commune ne sous-tend pas autre chose, elle laffirme même directement : «est libre celui qui na pas dobligation !»
Montaigne détruit irrémédiablement la possibilité de vivre le concept de «vraie liberté» hors de soi.
Il va même plus loin, signifiant par opposition à la «vraie liberté» quil en existe une fausse, une trompeuse à l'extérieur.
Selon lui la vraie liberté sacquiert en cherchant sa propre vérité, en creusant toujours plus loin pour se trouver, en ne se mentant pas à soi-même, en ne transigeant pas avec ses propres convictions, en ne se trahissant pas.
Cette exigence quil appelle de ses vux est en partie incompatible avec les règles sociales. Il le sait.
Consécutivement à cet idéal de «vraie liberté intérieure», on peut déterminer que personne socialement ne peut se prétendre libre.
Dans nos sociétés modernes où chacun si haut placé soit-il dans léchelle sociale, doit rendre des comptes, peut-on encore parler de liberté ?
Extérieurement nous ne sommes libres que dans les moments où nous pouvons nous extraire des autorités qui nous gouvernent (état, employeur, famille, morale
), lorsque nous réintégrons pour un temps cette part de «vraie liberté», nous nous désenchaînons.
Le reste du temps nous sommes contraints par des nécessités nous obligeant à obéir aux règles communes de la vie en société, à sa hiérarchisation permanente.
Jentends par là, les injonctions autoritaires assénées du haut en bas de léchelle sociale, auxquelles chacun se doit de répondre en opinant du chef.
Cicéron professait déjà bien avant Montaigne : «la liberté ne consiste pas à avoir un bon maître, mais, à nen point avoir !» - Létat de subordination détruit la notion même de liberté.
Doit-on encore parler de liberté lorsque lon est subordonné à lobéissance de règles et de lois ?
Jean-Jacques Rousseau disait : «Lobéissance à la loi quon sest prescrite est liberté !» - Etrange définition aussi non ?
Ce «on» pour désigner les hommes pris dans un sens global, alors que les lois sont données aux hommes par dautres hommes une minorité élue oeuvrant à préparer des lois auxquelles la totalité de la population devra se conformer, quelle les accepte ou non.
Lois trouvant leur justification, leur légitimité parce quelles reposent sur un consensus accepté par le plus grand nombre. Est-ce cela la liberté ?
En y réfléchissant, on constate que notre capacité à être libre, se situe bien à la marge. La plupart du temps, il nous faut passer sous les fourches caudines de conditions dexistence qui nous sont imposées.
Montaigne semble bien avoir vu juste, notre unique espace de vraie liberté, celui auquel nul ne peut toucher semble résider dans notre façon dêtre, la «gestion» de ce que nous sommes.
Et Cicéron dajouter à voix basse : «oui, mais, à la condition de nêtre pas en situation dinféodation !» - En ne devant pas obéissance à autrui.
On ne peut se dégager des obligations quen sintériorisant, en réintégrant intégralement notre propre identité.
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