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le monologue du suicidaire par Njika

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LE MONOLOGUE DU SUICIDAIRE. Telle idée serait supérieure à telle autre. Telle parole exprimerait la vérité et telle autre le mensonge. Telle acte serait inspiré par le bien et tel autre par le mal. Tel homme serait important et tel autre, négligeable. Tel homme serait gagnant et tel autre, perdant. Tel récit serait l’histoire et tel autre, une négation de l’histoire. Tel écrit serait la réalité et tel autre, une illusion sans fondement. Tel homme sauverait inévitablement son pays et tel autre l’engloutirait dans la dépression. Tel œuvre serait belle et telle autre… non. Telle situation serait l’ordre et telle autre le désordre. L’on pourrait poursuivre ainsi durant des pages entières mais j’avoue qu’après des heures de ce refrain toujours différent, mon sentiment d’immense mépris à son égard n’en serait guère altéré. Si on en croit la société dans laquelle je vis, la hiérarchisation est une idée cruciale dans la quête du bonheur. Inférieur. Supérieur. Voici deux mots qui, sans forcement être prononcé, conditionnent une grande partie de l’effervescence humaine. D’ailleurs, si ma société se glorifie de son état et s’enivre chaque jour de sa propre idéologie comme d’un vin qui provoquerait l’ivresse salvatrice du bonheur, je crois que c’est parce qu’elle pense, sans toujours le dire, qu’elle est supérieure à toute celle qui l’on précédé, et à toute celles qui, exsangues et suffocantes, tentent encore de lui survivre. Je la nomme « ma société », car j’en suis le produit, l’enfant. Je ne suis pas en croisade contre elle car qui peut partir en guerre contre lui-même? D’aucuns tenteront d’expliquer pourquoi et comment. Moi, je me contenterais de dire qu’elle est en moi. Elle me dicte mes buts depuis moi-même. Il paraît que ma société est libre. On dit que nombre d’évènements durent se produire pour qu’elle en vienne a arborer fièrement cet adjectif. Des milliers d’humains auraient trouvé la mort. D’autres auraient écrit d’immenses pamphlets incompréhensibles que leurs descendants, par chance, auraient compris. Le résultat est là : Ma société est libre. X... aussi était un enfant de cette société. Eu égard au fait que ma société est libre et qu’elle est la plus proche possible de l’idée que les homme se font du bonheur, j’ai peine à expliquer ce qui provoqua ce qui suit. Un lundi soir comme les autres, X... s’assit sur une chaise au milieu de son salon, seul, une auréole au dessus de la tête, et s’exprima ainsi… « Si mon enfance fut bleue, ce fut de la couleur du blues et non du bleu cristallin, clair et spirituel de la voûte céleste. Ce bleu qui colore le ciel lorsque celui-ci, jonché de nuages blancs et compacts, semble vouloir nous indiquer le chemin vers un bonheur paisible et salutaire, ce bleu, je ne l’ai jamais vu… Le bonheur n’est qu’un mot. Et si je l’ai connu un jour, cela ne peut être qu’écorché du goût écoeurant de ces instants perdus que l’on contemple s’éloigner sur la rivière du temps qui défile. Le lointain panorama que nous offre leur irrémédiable appartenance au passé est le seul angle de vue qui nous les fasse apercevoir enfin couvert de la transparente beauté qui fût la leur. Ils sont la part de regrets qu’une existence énigmatique impose au cœur humain. Je naquis un matin de décembre. La date me paraît totalement anecdotique et c’est la raison pour laquelle je ne la mentionnerais pas ici. J’ai tant vu les hommes, moi le premier, gaspiller les jours au profit d’un insigne futilité, que j’en suis venu à penser que les dates sont destinées à marquer d’une originalité factice, des journées qui identiquement se succèdent de la même manière que le code génétique feint de rendre unique des hommes si ordinaires et semblables que la couleur de leur yeux ou leur groupe sanguins deviennent de négligeable données. Je viens d’un pays où le soleil est d’une impériale prétention. Bien que n’y ayant jamais vécu, j’en ai gardé l’accent de mes parents et la couleur de peau la plus sombre qui soit en guise de marque indélébile d’appartenance. Je suis noir. Les moindres recoins de mon corps sont recouverts de cette couleur associée de tous temps à la négativité. Je suis pétri de négativité, d’une négativité si oppressante que mon être y est intégralement dissolu. Cette érosion silencieuse est si subtile que je me surprends souvent saisi de la folie de la personnifier. Elle devient alors un monstre que chaque organe de mon corps combat de toute son énergie, de toute son ineptie car le fait que ce combat est d’avance perdu, je l’ai intériorisé depuis longtemps. C’est par cette déperdition de substance vitale que j’explique mon incapacité chronique à me concentrer sur une visée cohérente, la façon dont je néantise systématiquement mon avenir et tout ce qui pourraient transformer en arc en ciel les lourdes pluies orageuses qui dominent l’atmosphère suffocante de mon existence… Je néantise, je néantise, je néantise… Je supporte mal la compagnie de l’homme mais je ne peux m’empêcher de prendre des pincettes avec sa médiocrité et sa petitesse d’esprit que je retrouve en moi sous la forme d’un cancer qui me ronge les os. Je pourris de vivre écrasé. Chaque respiration que je consacre à la plèbe puante m’éloigne de mes aspirations propres et je me regarde trébucher lamentablement… les chaleurs et les larmes me montent aux yeux, j’ai la barre au crâne et je continue à vouloir rester fort, de cette force insensée dont s’arment les brutes et les idiots… Aurais-je un jour le courage de dépérir? Non. Je m’égare loin de moi-même et cette transe lointaine et collante égrène les sentiments positifs, ralentissant pitoyablement mes projets… Je n'ai jamais su si j'étais un riche ou un pauvre. Si j'en crois mes parents , je suis un chanceux. Si j'en crois certains de mes amis, je suis un riche. Personne ne me voit comme un pauvre. Je ne doit pas l'être. Je pense que je ne l'ai jamais été même si mon amour du tragique y aurait trouvé un réconfort assez bienvenu. A mon avis , c'est la cohérence maligne de l'existence qui a joué avec mon destin d'une manière très surprenante que je vais tenter d'exprimer le plus clairement possible. J'ai toujours obtenu quelquechose d'acceptable , mais en dessous de ce que j'aurais été en droit d'espérer légitimement. Tout cela est très relatif car il est difficile d'estimer avec justesse ce qui est légitime, mais lorsque j'use de ce terme obscur, je le couvre du doute qui suit comme une ombre chacun de mes jugements. Cette prouesse de la vie est d'une cruauté inouie qui vous enferme dans l'inconfortable sentiment d'être toujours laisé sans jamais pouvoir vous plaindre. « Avoir le droit de se plaindre », voilà qui est un immense appaisement, un genre de luxe qui ne s'utilise pas et qui donne à la gloire un arrière gout de mérite et d'accomplissement. Les « gens à plaindre » ne se plaignent jamais, ou si ils le font, c'est avec la ferme conviction que leur doléance ne leur est en aucun cas reprochable, que nul n'oserais les en blâmer... Par opposition , ceux qui ne sont pas à plaindre se satisfont de cet état et selon moi, la cause en est le fait qu'ils pensent que leur destin est juste. En réalité, je crois que les riches et les pauvres voient la société de la même façon. Ils se diabolisent et s'idéalisent avec la même intensité, et leur detestation reciproque est d'une profondeur égale à celle de l'amour qu'il portent aux représentations sclérosées qui peuvent se résumer ainsi... « Les pauvres sont dans la merde, c'est normal qu'il se plaignent. Les riches ont tout, ils peuvent être satisfaits. » Tout le monde est à peu près d'accord avec cela... Mais lorsque comme moi, vous vous sentez frappé d'injustice mais n'êtes pas à plaindre, privé du droit social de pleurnicher, voici une singulière dépression nerveuse qui vous guette et nourrit une addiction quotidienne à la frustration. En fait, tout cela est très simple, les gens comme moi savent que la vie est par nature quelque chose d'injuste. Cela n'est peut être pas une vision réaliste des choses mais c'est la notre, à nous, les damnés du paradis! Nous vivons chaque jour dans un de ces interstices que l'oeil commun ne saisit pas, un dessous d'escalier sombre où l'existence révèle les rondeurs qu'elle cache sous son apparente rectitude. Les pauvres crient à l'injustice comme les malades, comme les riches , les biens portants, les puissants, en croyant farouchement qu'il existe une justice quelquepart. Moi je suis issu d'une caste invisible et rarement répertoriée: Les simulacres de stabilité et de puissance. Nous avons l'air d'être enviable et ce avec une constance qui laisse bouche bée, si bien que nos parcours qui de loin paraissent de lisses chemins vers la quiétude mais qui ne sont en fait que des sentiers boueux parfumés de fausses satisfactions, nous abandonnent héritiers d'une image que tout notre être rejette mais que nous ne sommes pas en mesure de contester ouvertement tant la raison nous en dispense.... De là vient certainement la troublante inclaison qui m'entraine à ne percevoir la trace du beau que dans toutes les nostalgies tristes et larmoyantes qui me rappellent sans doute le drame intérieur qui aurait du être mon drame extérieur. Comment aimer le bonheur lorsque vous haissez votre vie qui lui ressemble tant? L'allègresse trop marquée ou trop prolongée à toujours sonné faux à mes tympans. Soyons honnête: Je refuse d'être heureux. Soyons encore plus honnête: je ne sais pas si je refuse d'être heureux ou si je suis réellement malheureux. Je n'attends pas la réponse d'une tierce personne , je l'ai déjà entendu toutes les longues années que j'ai passé sur terre. Cependant, même si je suis loin d'avoir réglé mon cas- ce que je m'apprête à faire dans peu de temps- je m'explique un peu plus distinctement mon insatiable faim de tragédie. » Puis il se pendit haut et court.

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