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En attendant les Barbares... par Annaconte

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On leur avait annoncé l'arrivée des Barbares. Cela ne les avait guère surpris. Depuis si longtemps déjà qu'ils attendaient qu'arrive le pire ! Ils n'osaient pas le dire, ni même se le dire...mais ils l'avaient presque souhaitée cette arrivée des Barbares ! Ils étaient tellement las. Leur vie était devenue si fade. A remuer tant de poussière, ils s'étaient usés. Ils aspiraient à autre chose. A du neuf. Le Tragique du monde les avait soudain saisis et leur propre mort ne les effrayait même plus. Ils avaient perdu le sens et le goût. Ils n'attendaient plus rien. Cependant ils attendaient. Mais rien ne venait . Rien que de l'angoisse, quelque chose de sourd qui suait d'eux-mêmes. Alors quand on leur annonça l'arrivée des Barbares, ce fut comme un soulagement . Une libération. Ils allèrent sur l'Agora, tous. Rassemblés, ils attendirent cette fois que le Gouvernement leur donnât des détails, des explications, des réponses. Qu'on les rassure. Qu'on les protège. Le Gouvernement gouvernait depuis si longtemps. On pouvait lui faire confiance. Il maîtrisait la situation. C'était depuis toujours un Etat riche. Civilisé. Harmonieux. Libre. Les Gouvernants vivaient dans un luxe exubérant et joyeux. L'Empereur, les sénateurs, les consuls, les rhéteurs, éloquents,... les titres honorifiques, les toges, les médailles, les sceptres, les bijoux....Tous ces signes montraient la compétence. Le sérieux de ces gens. On pouvait leur faire confiance. On devait. En vérité, on n'y croyait plus. On avait vu leurs limites. C'était un Etat épuisé. Desséché. Décadent. Géré, mal, par des ambitieux. On sentait confusément qu'on se trompait. On souhaitait autre chose. L'annonce de l'arrivée des Barbares remettrait les choses en place. Malgré la peur, on se disait que cela serait une chance. Le monde allait bouger ! La frustration et l'épouvante cèderaient la place à la Rédemption : comme le Phoenix, l'Etat renaîtrait de ses cendres, et tous seraient sauvés. Les Barbares étaient la solution. Cela créa un enthousiasme, que l'on s'efforçait de cacher cependant, par décence. On sortait plus souvent dans la rue. On entreprit de défiler. Et même on fit des fêtes. On était comme des petits qui attendant le loup en faisant semblant d'avoir peur mais qui en vérité sont impatients de le voir ce loup, terrible et terrifiant, tout en poils et en dents, en chair et en os !! Se confronter à lui, en découdre, lui mettre une raclée et le laisser pour mort !! Faut bien que les corps exultent ! et l'âme aussi. On se mit à attendre les Barbares. Ces sans foi ni loi monstrueux. On les attendait de pied ferme. La trouille au ventre mais le sang circulait de nouveau dans les veines de chacun, et on pouvait entendre battre son coeur. Oui, ils étaient la solution. On les attendit longtemps. A force, on finit par macérer dans des eaux troubles, suspectes. Mais les Barbares ne vinrent pas. Ce poème de Constantin Cavafy (1863-1933) a été traduit du grec par Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras EXTRAIT DE "EN ATTENDANT LES BARBARES" 1904 Pourquoi ce trouble, cette subite inquiétude? – Comme les visages sont graves! Pourquoi places et rues si vite désertées? Pourquoi chacun repart-il chez lui le visage soucieux ? Parce que la nuit est tombée et que les Barbares ne sont pas venus et certains qui arrivent des frontières disent qu’il n’y a plus de Barbares. Mais alors, qu’allons-nous devenir sans les Barbares ? Ces gens étaient en somme une solution.

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