( "Toute sensation vraie est une morsure" - Antonin Artaud - )
Nous n'existons pas pour les autres
Ferme-moi ta porte, que l'enfer continue
Interdis-moi ce besoin incongru de chaleur
Qu'offre le soleil entrant dans la mer
J'avoue ne manquer de rien
Le printemps m'ouvre déjà tellement son coeur
En moi s'épanouit chaque fleur
Un amour plus fort que tout dessein
Je ris comme l'eau, je danse
Joyeux, sans le baume de ta voix
Nous n'existons pas pour les autres
Sinon, l'harmonie règnerait
Dès l'aube on se saisit de moi
Je suis pieds et mains liés devant
Le peloton d'exécution ayant pour nom :
"Indifférence, cynisme, torpeur"
En un instant défile sous mes yeux
Les vallons lointains de tes mains
L'astre solaire de tes cheveux
Je cherche le bruit de tes pas
Est-ce que demain tes doigts
Pianoteront sur la peau des jours nouveaux ?
Je me débats, contre ce désastre d'émotions
Qui m'enferrent
Je sais, je t'ai depuis longtemps perdue
A partir du premier acte vil
Porté contre toute créature
Il n'y a pas d'issue en cette vie
Tant qu'un seul être sera victime d'infamie
J'ai froid, aucune tendresse ne m'échoit
Je rêve de noces campanules en forêts
Que tes poignets, tes chevilles déploient
Comment surseoir à l'horreur ?
Mon corps de bois donne asile aux fougères
Aux lichens, plus aimants
Qu'aucune intention humaine
L'interchangeabilité en amour n'est pas pour moi
Me voilà constamment invité au banquet des saisons
Tenant la traîne des mariées épousant l'horizon
Séparé de mes frères, uni à l'univers
Je chevauche l'exil
Lové contre la mémoire, embrassant l'innocence
Enceint de toute vie, je mets au monde
Des arcs-en-ciels gonflant leurs arceaux
Une clairière libérant ses oiseaux
Je fête l'impensable
Le jusant des prairies
Les ruches des feuillages
La mélisse et le mélilot
Tandis que les rochers font le gros dos
Effleurés par des papillons
Messagers de notre impossible relation
L'espace vibre de lettres d'amour
Il me manque d'enfouir mon visage
Dans ta robe
Ses méandres dépassant toute mesure
Leurs lèvres tissées d'étoffe profonde
Voiliers apparaissant à l'horizon
Poussés par les vents, les humeurs de tes mains
L'on n'existe dans cette vie-là
Que dans l'intervalle où les autres vous délaissent
Se consacrant à leur cercle de famille
Dont le rayon d'action jusqu'à un certain point brasille
Sur la grève mon corps compose une laisse
Ce qu'il reste après le ressac de tant d'adieux
Algues, coquillages, os de seiches, brindilles
Mélange d'amours radieux
Je n'existe, qu'à travers le murmure
Que font tes jambes se croisant
Lorsque personne n'en est témoin, n'éprouve
Ce morceau d'azur émis par tes soins
Ton pied levé, croissant de lune
Etoilant la beauté
Que la vie est douce aux socs de tes souliers
Y essaimant l'espoir !
Toi, si peu présente dans l'Histoire
Que je ne peux t'atteindre
La femme ayant été si souvent flouée
Ô reviens-nous, exerce tes pouvoirs !
Je t'écris, porté par les pies-grièches
Parfumées de roses matinales
On existe si peu aux yeux des autres
Dévorés par le cours de leur vie
Divisant le monde pour se mieux se damner
A coups de guerres, de divorces, de battues sur les prés
L'univers, c'est chacun de nous, que l'on maltraite, que l'on saigne
Chaque aube tente l'impossible avec un baiser
La mer envoie l'écume s'y frotter
Des nuages allègent les montagnes
Les îles font ce qu'elles peuvent
Pour ramener à leur cause les étoiles
Nos vies sont si lourdes à porter
Que le rossignol se met à chanter
Je trouve le salut dans les yeux des brebis
Les arbres aux gestes enfantins
Je perce-neige l'oubli
Esclave d'une attente au goût d'airelles.
V.
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