Elle nen finissait pas de ronger la montagne, de grignoter les grès et de morceler les granits, déroder les terres, elle nen finissait pas demporter les arbres, de raser les prairies, de désagréger les ponts, davaler des fermes. A force elle avait fait feu de tout bois et creusé son lit à coups de butoir, elle était désormais étalée dans la plaine, et serpentait entre des terres sèches qui cédaient sur son passage : le moindre lopin elle sen saisissait et lengloutissait.
Telle un monstre jamais rassasié, elle nen avait jamais assez.
Elle charriait avec elle des arbres morts et de la boue grise, des galets quelle déposait en passant sur les berges, des pans de murs, des larmes et des noyées
Elle traînait avec elle des histoires de femmes et des contes passés, des peurs effarantes et des colères rentrées. Et surtout des débordements. Ses crues légendaires et dévastatrices tous sen souvenaient, les hommes, les bêtes, les paysages aussi
remodelés au gré de ses caprices. Impétueuse, fougueuse, violente, lIndomptable cétait elle !
Giono disait delle :
: « Ce n'est pas qu'elle est méchante, mais pour elle, le bien et le mal, c'est pareil ».
Dans son roman "L'Eau Vive", Jean Giono évoque les malheurs que la Durance infligeait à ses riverains:
La Durance n'était pas cette petite eau sans importance, perdue dans le large des terres [...]. C'était un fléau du Seigneur, un démon dévorateur, une mangeuse de biens. Elle avait ruiné des centaines de familles. [...] A chaque crue la Durance dévorait des hectares de bonnes terres, emportait les prés, les vignobles, les maisons même.
(Hortense ou l'Eau vive, p. 63 dans l'édition France-empire de 1958).
« Parlamen, mistrau e durenco soun li tres flev de la prouvenco » disait-on autrefois (Le Parlement, le Mistral et la Durance, sont les trois fléaux de la Provence).
Avant la construction du barrage de Serre-Ponçon, la Durance était en effet une rivière imprévisible et indomptable. Elle était marquée aussi bien par des crues dévastatrices, comme ce fût le cas en 1843 et 1856, que par des périodes de profonde sécheresse, en particulier celle de 1895.
"Mais l'homme, qui au fond de son âme
A gardé une étincelle de cette flamme
Qu'alluma un jour le seigneur,
Au cou te mettra une bride,
Pour que tes eaux alanguies,
S'écoulent lentement vers la mer."
E. Planchud
« Serre Poncon dans la vallée de l'Ubaye, sera le 1er barrage en terre d'Europe. Le plus grand. De gigantesques travaux de dérivation de l'impétueuse Durance sont entrepris sous l'oeil improbateur de Jean GIONO qui observe la fin de ''l'eau vive . Cela prendra cinq ans, de 1955 à 1960.
Un nouveau village est construit pour héberger les habitants du village de la vallée noyée. (1er avril 1960) » (Savines)
« - l'Eternel nous a entendus et, de l'autre coté des eaux, des hommes sont venus avec de lourdes chaînes pour mettre la Durance dans les fers.
- Des chaînes, tante Marthe ! Quelles chaînes ?
- Celles des arpenteurs, petite.
- Encore trois ans, et la Durance ne montera plus.
- Et pourquoi, tante, la Durance ne montera plus?
- Elle coulera dans un canal. » (Hortense de Giono)
Le film « LEau Vive » est sorti -commandité par EDF- en 1958. C'est pour ce film qu'a été écrite la chanson bien connue de Guy Béart, concernant l'ambivalence des rivières: Ma petite est comme leau, elle est comme leau vive...
http://www.youtube.com/watch?v=tMBP_obJ5j8
Jean Giono souligna la fin de la Durance impétueuse et folle par un cinglant "La Durance est morte "à l'issue du chantier de Serre-Ponçon. Quatre mots simples qui expriment avec force la personnification du cours d'eau transformé et donc disparu que l'on pleure comme on pleure un proche. "
« La Durance n'a pas inspiré beaucoup de romans modernes. Est ce à dire que la domestication du cours d'eau l'a amputé de sa portée héroïque et romanesque? Vraisemblablement... »
Cependant................
"La Durance est éternelle et sa patience a des limites. Vous verrez, un jour, elle se révoltera et redeviendra un fleuve " (Jean Marie Gibelin, Toi Durance, éditions Terradou )
J'avais dix ans lors de la mise en eau du barrage. On racontait que l'ancien village de Savines enseveli désormais sous les eaux de la Durance, gardait bien des secrets dans son silence de mort, mais que parfois l'on pouvait entendre encore, à travers la vallée, sonner la cloche de la vieille église....
Cet été on a fêté les cinquante ans du Barrage. Avec un feu d'artifice sur le Lac.
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