Impertinents. Provocateurs. De fâcheuse réputation. Objets de mépris ou de railleries. Leur philosophie n'a pas connu la postérité des écoles philosophiques de leur temps. Un temps de chien !
Les Lettres de Diogène et Cratès, publiées chez Babel (1998) réhabilite ces philosophes mal aimés, les Cyniques. . Gilles Deleule nous propose dans sa lecture intitulée "la Besace et le Bâton" une introduction au mouvement cynique..
Cheveux longs, barbe sale, tunique de bure grossière, besace en bandoulière. Appuyé sur son bâton, il avance, nu-pieds, solitaire. De temps à autre, il crache au grand dam des passants qui s'écartent. Lui se moque et leur fait une grimace en grinçant des dents. Parfois il les insulte et les menace.
Des chiens écumants l'accompagnent. Aboiements, jappements, bagarres... Cette escorte lui ressemble. Voici venir Diogène "le Chien", c'est ainsi qu'il se présente. Pourquoi donc "le chien" ? -"Parce que je remue la queue quand on me donne quelque chose" -"Parce que j'aboie quand on ne me donne rien" et -"Parce que je mords quand on est méchant". C'est lui qui le dit.
Du fait, on le tient à distance, par peur d'être mordu. En vérité, c'est lui, Diogène, qui se tient à l'écart : il a choisi son camp, c'est la meute ! Celle-là même qui le suit. Il veut être libre, loin des passions des autres mortels, esclaves eux du pouvoir, du luxe, de la gloire ! Il veut sans contraintes morigéner contre eux, aboyer et mordre si besoin, et les agresser pour un oui ou un non, les ridiculiser, leur envoyer à la figure tous leurs piètres travers d'hommes ; il est capable de leur faire la morale ! Il ne fait pas de grande démonstration, simplement il se montre, lui, tel quel : il vit simplement, frugalement, il n'a besoin de rien et se suffit de peu. Il ne tente même pas de les persuader, il s'exhibe ! Il joue au chien justement, il grogne, aboie, et va même jusqu'à pisser sur leurs pieds, impudent ! Il ne cherche pas comme les autres philosophes à argumenter, non, il se met simplement en scène, théâtral, son style est abrupt ! Et s'il n'est pas dialecticien, les gens l'écoutent tout de même. Et le regardent, médusés ! Cet impudique montre tout ! Et fait tout en public. Tout. Puis il regagne son "tonneau" où il a élu domicile.
Car derrière sa folie, Diogène, qui n'avait rien, qui vivait comme un animal, qui revendiquait ses pratiques provocantes, qui n'obéissait qu'aux lois de la nature, prônait déjà à sa façon la contre-culture et faisait preuve de cette grande sagesse que le monde envie aux Grecs de l'Antiquité.
C'est pour cela qu'on l'écoutait, parce qu'on savait sans doute au fond qu'il avait raison ....Miroir de la société grecque, le cynique renvoyait une image en négatif à ses concitoyens et sera un témoin "émissaire des dieux" (comme le dira Epictete). Une bien lourde et grave mission tout de même !
Et en écho au com "Communiquons" de Cocagne de dimanche et en hommage "aux types qui vivent dans un carton" nouveaux témoins et victimes de cette "époque formidable" qu'est la nôtre aujourd'hui , voici avec quelque cynisme et dérision cet extrait d'une Lettre de Diogène à Apolexis :
"Je m'étais adressé à toi pour avoir un logement : merci de m'en avoir promis un ; mais la vue d'un escargot m'a donné l'idée d'un logement à l'abri du vent, c'est ma jarre au Métroion. Ne songe donc plus au service que je t'avais demandé et félicite-moi de découvrir la nature".
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