Quand il arriva, il faisait encore nuit. Il émergea des ténèbres et de la brume ; il marcha lentement sur la terre fangeuse, traversa les prairies inondées de rosée et entra dans les bois, indifférent aux broussailles et aux ronces qui lacéraient sa peau. Il arriva sur la montagne juste un peu avant le lever du soleil. Il sassit contre une pierre dressée, pour contempler la vallée qui séveillait étirant de grands voiles blancs légers comme des plumes au-dessus des rivières. Fatigué , les yeux brûlés par la lumière, il sendormit. Juste avant de sombrer, il crut entendre le cri dun oiseau qui pleurait.
Il glissa mollement dans le sommeil, entrainé par des forces invisibles, il sentait quil devenait lourd et quil tombait . Il eut une dernière pensée pour le dessein quil projetait : ce quil voulait plus que tout, cétait dapprendre à rêver
.
Pour lheure, il était inutile de lui demander son nom ou qui il était. Ce quil avait fait avant. Doù il venait. Où il comptait aller. Il ne sen souciait pas lui-même, tant lui importait désormais ce projet insensé qui le transportait et le rendait presque fou.
Ce quil voulait, cétait rêver, lui qui navait pas encore de rêves, rêver dun homme. Intègre, neuf, glorieux.
Il commença par des rêves informes, flous et incertains. Tremblotants ectoplasmes visqueux, souvenirs vagues de laves en fusion, dombres opaques, de stries de lumière, jaillies du fond des mers, coulées de glaise , de gris et danthracite, pastels de bruine
Puis surgirent peu à peu les couleurs. Taches ambiguës. Inanimées. Puis apparurent les contours. Maladroits. A peine visibles.
Il sappliquait à rêver. Il se concentrait en pénétrant les songes. Il voyait comme des fantômes drapés sapprocher de lui, jusquà le toucher, improvisant une danse étrange dont le sens lui échappait. Ils navaient pas de visages. Perplexe il se demandait comment dégager de ces mornes silhouettes mouvantes, quelque chose qui mériterait quon sy arrête.
Quelque chose
. ou quelquun.
Il avait bien repéré au milieu de ce ballet de créatures sombres, une image possible. Mais elle lui échappait encore, et fuyait devant lui.
Au bout de plusieurs nuits, une porte au fond du rêve, jusquici close, sentrouvrit et les vents dispersèrent ces vacillants imparfaits Las et déçu, le rêveur renonça alors à son rêve dhomme
Cependant, un seul, parmi ces visions illusoires, était resté que les zéphyrs navaient pas emporté : un peu taciturne, un peu râleur, il était beau. Il ressemblait un peu à son rêveur. Celui-ci fut surpris et heureux de pouvoir enfin distinguer quelque chose et se pencha pour sen saisir.
Mais il séveilla. Et dès lors neut de cesse de sendormir à nouveau chaque nuit pour retrouver lhomme rêvé.
Cela ne fut pas simple. Il fallut modeler la matière du rêve et il vit que cela nétait pas facile. Il travailla longtemps à son entreprise, tentant quelques essais , il y eut des ratés. Les incohérences des rêves sont difficiles à maîtriser et cest vraiment tout un Art que de donner une forme surtout lorsquon na pas de modèle. Il besognait à ses rêves avec lardeur et la précision de Gepetto le père de Pinocchio le pantin de bois. (Quil aurait certainement apprécié sil lui avait été donné de le rencontrer
)
Le rêveur rêvait de son rêve...... et son rêve enfin prit corps.
Ainsi lhomme, un matin, depuis le tréfonds du rêve, fut projeté dans la réalité. Il se présenta engourdi et aveugle, et incapable de se tenir debout. Il fallut encore soccuper de lui, le réchauffer, le porter, le bercer, et le rêveur lexhorta plusieurs fois à parler. En vain. Il fallut encore des nuits et encore des rêves pour le rendre vivant, il fallut le rêver frémissant, et de chair et de sang. Il fallut le créer de toutes pièces, et le cur et les os et la peau, et les yeux. A la fin, épuisé, le rêveur soupira. Et son souffle atteint la créature enfin, dont le cur se mit à battre..
« Dans le rêve de lhomme qui rêvait, le rêvé séveilla ».
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