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Pas seulement les oiseaux… par Jules Félix

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La pauvre était très très vieille. Elle n’était pas vraiment dupée par le sort qui l’attendait. Au contraire, elle devinait toutes les conséquences navrantes qui allaient en découler. Depuis plusieurs jours, elle n’était plus capable que de rester dans le fauteuil, là, dans ce salon qu’elle aimait tant, ensoleillé toute la journée grâce à toutes ces fenêtres de tous les côtés, sauf le nord. C’était pour elle son hôpital magique, sa maison de repos. Elle n’envisageait plus de ressortir, d’aller vers l’extérieur reprendre ses anciens instincts, ses anciennes habitudes. Elle s’endormait paisiblement dans ce fauteuil et cherchait à rêver de l’époque de sa tendre jeunesse, où elle allait, conquérante, dans les allées de la vie pour s’y faire une place. Elle avait acquis un certain statut. Elle avait réussi à dominer un petit empire, mais elle le délaissait désormais. Ce n’était plus de son âge. Elle avait mis un point final à la sociabilité. Désormais, son avenir devenait cloîtré, son futur égocentré. Le passage allait être dur, sans doute, mais il fallait l’accepter. La fatalité de la vie, pourquoi la rejeter puisque, de toute manière, elle ne pouvait pas être rejetée ? Depuis quelques jours, elle avait décidé aussi de ne plus manger. Enfin, non, elle ne l’avait pas décidé. Elle avait compris que l’opération lui pompait trop d’énergie : prendre, mordre, mâcher, déglutir, digérer, évacuer. Selon elle, le bilan était négatif. Ses maigres tripes n’assimilaient plus grand chose. Il valait mieux faire la croix sur la nourriture. De toute façon, elle n’avait jamais eu vraiment faim. Elle préférait la vie au grand air, mais la nourriture, ce n’était pas son truc. Timidité ? Peur ancestrale, prénatale ? Réserve ? Amour-propre ? La relation avec la nourriture est tellement complexe que des chercheurs en font leur sujet d’étude. L’heure n’était pourtant plus aux études psychologiques. Elle savait qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps. L’heure était aux dernières actions. En faisant l’impasse sur ses repas, elle s’affaiblissait davantage. Elle le savait. Elle ne savait comment remédier à cette dégénérescence inéluctable. Un jour qu’elle était seule, elle y tenait d’être seule, elle ne voulait pas être complainte, elle profita d’additionner ses dernières ressources pour un ultime effort. Elle monta douloureusement une à une les marches de l’escalier. Un escalier qu’elle connaissait par cœur depuis plus de seize années. Elle entra dans la chambre de gauche et se glissa sous le lit malgré ses rumatismes. Elle fut retrouvée inanimée quelques heures plus tard. C’était ce jour, il y a juste quinze ans. La chatte était venue mourir en paix. Alors, qu’est-ce qui sépare les humains des animaux ? La notion du sacré ? L’appréhension de la mort ? Pas sûr.

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