La pauvre était très très vieille. Elle nétait pas vraiment dupée par le sort qui lattendait. Au contraire, elle devinait toutes les conséquences navrantes qui allaient en découler.
Depuis plusieurs jours, elle nétait plus capable que de rester dans le fauteuil, là, dans ce salon quelle aimait tant, ensoleillé toute la journée grâce à toutes ces fenêtres de tous les côtés, sauf le nord. Cétait pour elle son hôpital magique, sa maison de repos. Elle nenvisageait plus de ressortir, daller vers lextérieur reprendre ses anciens instincts, ses anciennes habitudes.
Elle sendormait paisiblement dans ce fauteuil et cherchait à rêver de lépoque de sa tendre jeunesse, où elle allait, conquérante, dans les allées de la vie pour sy faire une place. Elle avait acquis un certain statut. Elle avait réussi à dominer un petit empire, mais elle le délaissait désormais. Ce nétait plus de son âge.
Elle avait mis un point final à la sociabilité. Désormais, son avenir devenait cloîtré, son futur égocentré. Le passage allait être dur, sans doute, mais il fallait laccepter. La fatalité de la vie, pourquoi la rejeter puisque, de toute manière, elle ne pouvait pas être rejetée ?
Depuis quelques jours, elle avait décidé aussi de ne plus manger. Enfin, non, elle ne lavait pas décidé. Elle avait compris que lopération lui pompait trop dénergie : prendre, mordre, mâcher, déglutir, digérer, évacuer. Selon elle, le bilan était négatif. Ses maigres tripes nassimilaient plus grand chose. Il valait mieux faire la croix sur la nourriture.
De toute façon, elle navait jamais eu vraiment faim. Elle préférait la vie au grand air, mais la nourriture, ce nétait pas son truc. Timidité ? Peur ancestrale, prénatale ? Réserve ? Amour-propre ? La relation avec la nourriture est tellement complexe que des chercheurs en font leur sujet détude.
Lheure nétait pourtant plus aux études psychologiques. Elle savait quil ne lui restait plus beaucoup de temps. Lheure était aux dernières actions. En faisant limpasse sur ses repas, elle saffaiblissait davantage. Elle le savait. Elle ne savait comment remédier à cette dégénérescence inéluctable.
Un jour quelle était seule, elle y tenait dêtre seule, elle ne voulait pas être complainte, elle profita dadditionner ses dernières ressources pour un ultime effort.
Elle monta douloureusement une à une les marches de lescalier. Un escalier quelle connaissait par cur depuis plus de seize années. Elle entra dans la chambre de gauche et se glissa sous le lit malgré ses rumatismes.
Elle fut retrouvée inanimée quelques heures plus tard.
Cétait ce jour, il y a juste quinze ans.
La chatte était venue mourir en paix.
Alors, quest-ce qui sépare les humains des animaux ? La notion du sacré ? Lappréhension de la mort ?
Pas sûr.
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