Au risque d'en choquer certains, ces choses de la vie se passaient comme ça, chez les petits ou les gros cultivateurs...
Dans la soue depuis le premier jour du printemps, Marius, le porcelet avait fait l'objet de tous les soins, son auge remplie deux fois par jour d'une bonne pâtée de pommes de terre enrichie de son et de farine de maïs, d'épluchures de toutes sortes,... d'eau du ruisseau et d'herbe fraîche qu'il trouvait dans son enclos où il passait sa journée à se rouler dans la boue, a somnoler à l'ombre ou au soleil selon son humeur...avant de retrouver la soue pour la nuit...
Après huit mois de ce régime, Marius était passé de vingt à cent quarante kilos...Le poids idéal pour une viande tendre et savoureuse, ni trop grasse, quoique ! ni vraiment maigre... Mais comme chacun sait, le proverbe dit : "on engraisse pas les cochons avec de l'eau clair"
Donc,
On était en décembre, et mon Pépé, consultait son "Almanach du Vieux Savoyard" où il notait tous les événements de sa ferme, pour regarder quand il serait en bonne lune pour tuer le cochon...
Et tuer le cochon, cela ne s'improvisait pas...
- Il fallait s'assurer que Serge, le spécialiste de la chose, était libre à la bonne date...
- Que le sel gris, le poivre, gris lui aussi, les clous de girofle, le thym, le laurier, Les aulx, les échalotes et autres aromates étaient en quantité suffisante pour le grand jour...
- Que les saloirs avaient été mis à tremper...
- Que le plot où uvrerait Serge était en place dans le cellier, ainsi que tous les seaux, marmites et chaudrons, terrines et saladiers, et rouleaux de ficelle de cuisine dont il aurait besoin étaient en quantité suffisante et prêts à servir...Bref, tout à portée de main.
C'est le cri prolongé du cochon qu'on égorgeait qui m'a réveillé...
Habillé en vitesse, je suis descendue dans la cour, il faisait nuit, frisquet, un froid sec...
Et là, Marius écartelé sur une échelle au-dessus d'une auge, finissait de rendre son sang qui se déversait dans un seau, où mon Pépé, un morceau de bois à la main ne cessait de tourner le sang pour empêcher la coagulation et en retirer la fibrine...
Serge ferait le boudin qui serait en partie servi aux pommes au repas de midi...le reste serait donné aux voisins qui venaient donner le coup de main quand mon Pépé avait besoin.
Dans un coin de la cour, sous ce qu'on appelait la tonnelle, le feu ronronnait sous le chaudron où une énorme quantité d'eau commençait à bouillir...
Marius, maintenant sans vie, fut recouvert de paille où on y mit le feu, pour lui bruler les poils, puis, l'ébouillanter, pour finir de le raser à grands coups de sabre raclés sur sa peau...
Serge, l'a arrimé à l'échelle avec des crocs de boucher, et aidé de mon Pépé et d'Ephise, son commis, ils ont dressé l'échelle contre le mur, Marius tête en bas...Une grande bassine sous sa tête.
D'un coup de sabre, Serge à fendu le ventre du cochon, de la queue à la poitrine, et toute la tripaille est tombée dans la bassine, où aussitôt après avoir prélevé le coeur, le foie, les poumons,les rognons, qui seraient cuits en sauce au vin, les femmes venues en force pour la circonstance se sont chargées de vider , laver, retourner les boyaux qui serviraient à faire boudin, saucisses et saucissons...
Puis Serge a commencé la découpe, la tête qui ferait du fromage...de tête...
Les cuisses et la langue qui seraient fumées, dans la cheminée de la vieille maison...
Les meilleurs morceaux seraient mangés, une petite partie en rôti le dimanche... Ou hachés et assaisonnés pour en faire des saucisses ou des saucissons...
La panne, fondue en saindoux et mise en toupine comme matière grasse pour conserver et faire la cuisine... Miam ! Les pommes de terre rissolées au saindoux, et les viandes gouteuses et moelleuses mijotées au saindoux...
Les pieds, préparés en gelée...
La poitrine assaisonnée et mise en rouleaux ficelée et avec les autres morceaux débités de tailles différentes selon les besoins de la famille, salés et mis au saloir pour la conservation...
L'hiver pouvait passer, le saloir était plein, les saucisses dans le saindoux pour rester moelleuses, les saucissons à sécher ainsi que les pièces fumées...
En ce temps là, le réfrigérateur n'était pas encore rentré dans nos campagnes...
C'était il y a tout juste cinquante, soixante ans...
On ne parlait ni de viande Halal, Kascher ou autre...
Les animaux étaient tués suivant la tradition, et ne subissaient pas le stress des abattoirs industriels...
Ce jour là, chez nous c'était la fête du cochon .
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