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Gare au loup ! par Misty44

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La curiosité est un vilain défaut… faut voir ! En tout cas, on ne me refera pas maintenant. Patiemment, très patiemment … je commençais à me les geler, j’ai attendu que le type pointe son museau à l’extérieur de sa tanière, en l’occurrence, un immeuble de bon standing où habitait Cathy, et je l’ai suivi jusqu’à la gare d’Eaubonne. Direct de 7h 12 pour Paris Gare du Nord. Le wagon est déjà à moitié plein. Le train avance lentement, comme s’il voulait accorder encore quelques minutes de repos aux voyageurs de banlieue ensommeillés. L’homme que je file, Gildas, grimpe à l’étage supérieur. Imperceptiblement les femmes, jeunes ou âgées, jolies ou quelconques, semblent se mettre au garde à vous, bustes redressés, ventres rentrés, jambes croisées, ça froufroute et ça crisse du Lycra dans tous les coins. Je sais que je ne suis pas mal de ma personne, mais... à contrecœur, je dois admettre que ces mini-vagues sont provoquées par mon compère le loup, qui vient d’entrer dans la bergerie.  Moi, c’est Ludo, un échappé de la Maison Poulaga par la grande porte après trente-cinq ans passés à jouer au chat et à la souris. J’ai adoré ce métier, même si souvent il me faisait vomir sur la noirceur des hommes. Chercher ce qui se cachait derrière les vitrines m’a toujours passionné. La semaine dernière, j’avais rendez-vous avec Jeanne, une vieille copine, enfin, façon de parler, on est à peu près du même âge et on est loin d’être à la casse. Pour l’occasion, j’avais jeté un œil critique à mon allure et je m’étais rasé, il n’y a bien qu’une femme qui puisse m’obliger à ce prodige, car, depuis que je suis à la retraite, je trouve ça... barbant. Jeanne, ah Jeanne ! J’aurais bien voulu être pour elle plus qu’un copain, mais elle a toujours préféré les jeunots, comme ce Gildas, qu’elle avait rencontré dans un train, justement. Ce type a vingt ans de moins qu’elle. Il la rend folle. Elle allait encore me bassiner avec son histoire, que je connais par cœur. Elle est arrivée, toute pimpante. - Bonjour, ma Jeanne, tu es toute belle ! Mais...tu n’as pas l’air dans ton assiette ? - A qui le dis-tu ! Ce salaud, si je m’attendais à ça ! ah ! il a bien caché son jeu, ce que j’ai pu être conne de croire qu’il était avec moi pour mes beaux yeux... - T’as de beaux yeux, tu sais... - Ne te fous pas de moi, ce n’est pas le moment ! Figure-toi que cet enfoiré m’a joué un sale coup. Je lui faisais confiance… quand même, au bout de deux ans !...Eh bien, il a réussi à me soutirer, petit à petit, des sommes ahurissantes, en utilisant ma carte bancaire. Il m’a fallu du temps pour m’en apercevoir, tu sais, les comptes et moi, ça fait deux. Et puis, il a disparu. Un mois déjà. Evidemment, j’ai porté plainte, mais j’ai bien senti que les flics se fichaient pas mal de mon affaire. Alors, voilà, Ludo, il faut que tu m’aides, je voudrais savoir où il est, ce salaud, ce qu’il fait, tout quoi...La seule piste que j’ai, c’est l’adresse et le téléphone de sa soi-disant cousine, une certaine Cathy. Il la voyait souvent les derniers temps. J’ai appelé à ce numéro, mais je suis toujours tombée sur le répondeur. - Je vais travailler pour toi, alors ? et, qu’est-ce j’aurai en échange, à part ton éternelle reconnaissance ? - Ah ! ça, c’est à négocier !  C’est ainsi que je file le train de l’ange dragueur des rames, le drame des cœurs d’ange. Il faut dire qu’il a une gueule à faire des ravages, si l’on se noie dans ses yeux bleu marine et se frotte à ses joues qui piquent. Il arpente l’allée centrale, feignant d’ignorer les regards levés sur lui et se dirige vers sa cible du jour : la jeune femme en face de qui il s’assoit est plongée dans sa lecture. Il sort alors tranquillement un livre de la poche de sa veste. Gagné ! Elle jette un rapide coup d’œil au niveau du titre du bouquin, puis sur lui. Gildas a trouvé le sésame. - Je vois que nous avons un point commun... Il désigne leurs deux livres. - … apparemment, vous et moi aimons la légèreté. La jeune femme, élégante et sage, sourit. Elle est encore troublée par une phrase de « Soie » qui a une résonance infinie pour elle : « Mourir de nostalgie pour quelque chose que tu ne vivras jamais. ». Elle murmure : - Vous connaissez ce livre de Baricco ? - Mais oui ! c’est un de mes préférés. - Je pourrais dire la même chose avec le vôtre : « L’insoutenable légèreté de l’être », quelle merveille ! Je trouve ça incroyable…tomber sur un homme qui a ce genre de lecture ! - Dommage que nous n’ayons pas plus de temps pour en discuter. Vous prenez souvent ce train ? Peut-être pourrions-nous nous revoir ? Plus que vingt minutes avant l’arrivée à Paris. En un temps record, Gildas parvient à savoir qu’elle s’appelle Louise, qu’elle travaille dans une maison d’édition et qu’elle est divorcée sans enfant. Chapeau ! Il faut dire qu’il a l’art et la manière. Elle a l’air totalement subjuguée. Le train ralentit bientôt, ils se lèvent. Louise se fait un peu prier, pour la forme, avant de lui tendre une de ses cartes de visite, en souriant d’un air vaincu. Emportés par la foule...ni lui ni elle ne se sont aperçus qu’une deuxième carte est tombée à terre. Je m’empresse de la ramasser. Les jours suivants, Gildas et Louise se retrouvent dans ce train matinal et j’assiste au roucoulement des tourtereaux, qui a pris sa vitesse de croisière. C’est bien joli tout ça, mais je ne vais pas passer mon temps à tenir la chandelle. Surtout que j’ai vu que le pigeon en question ne se contente pas d’une seule pigeonne : il répète son manège à longueur de journée ! Je ne sais pas si c’est le roulement du train qui l’excite, mais moi ça me donne plutôt le tournis. Ouf ! Enfin, il va se passer quelque chose, le petit grain de sable qui fait dérailler ce train-train monotone. Par un bel après-midi, Gildas s’est attaqué à un truc pas facile : attirer l’attention d’un magnifique spécimen de la génération néo-gothique, muni de tous ses accessoires. Noir, c’est noir. J’admire Gildas, il ne rechigne pas à la tâche ! C’est alors que Louise, contrairement à ses habitudes, monte dans ce train, voit la scène. Elle s’assoit derrière lui, fixant son dos, hypnotisée. Je suis près d’elle. Nous assistons ensemble au spectacle. Je jubile sous cape, ce qui n’est pas le cas de ma voisine : elle est verte, à la limite de la décomposition. Nous entendons Gildas faire des commentaires sur « Les nuits fauves » que la fille est en train de dévorer. Celle-ci lève sur lui un regard noyé et dit : - Ce livre... c’est ma vie, exactement. Gildas tente de la faire parler de cette vie-là, mais elle n’est pas bavarde. Il lui donne rendez-vous le soir-même dans le dernier train de retour. Moi, ce soir, je dois voir Jeanne, pour lui faire un premier rapport.  Rendez-vous au buffet de la gare. Nous arrivons en même temps. Bon sang ! Elle a pris un coup de vieux, la Jeanne, et ce que je vais lui dire ne va pas lui remonter le moral. Elle me serre dans ses bras. - Ca me fait du bien de te voir, Ludo. Alors… ? - Tu t’attends bien, je suppose, à ce que je te confirme que ton Gildas est un drôle de coco, un collectionneur, en quelque sorte, de jolies poulettes qu’il doit plumer, tout comme toi. - Mais avec moi, j’ai cru que c’était autre chose, qu’on s’aimait… Quoi ?... Je déteste quand tu prends ce regard du mec qui est revenu de tout ! - Tu as raison, je n’ai pas de leçons à donner de ce côté-là... - Ah…Excuse-moi, Ludo, je ne voulais pas te blesser. Allez! Raconte-moi. Tout y passe, les vertes et les pas mûres. Méthodiquement, j’ai consigné par écrit tous les détails, les heures des trains, les noms, les physionomies, les dialogues, la carte de visite, etc, etc... A la fin de mon récit, Jeanne est prête à dérailler, elle se lève et tourne en rond comme un lion en cage. Tout le monde nous regarde…Elle me demande de partir avant qu’elle n’éclate. Je la quitte en lui laissant mon rapport.  Affalé devant mon bol de café, j’allume mon transistor, qui date de Mathusalem, et je saute dans le train des infos...décidément, ça m’obsède ! On a découvert le cadavre d’une jeune fille dans les toilettes d’un train de banlieue. Ligne n° 7 ? Je ne percute pas tout de suite ; elle aurait été étranglée…… pas encore son identit酅elle portait des vêtements noirs et un maquillage gothique. Ca y est, je me réveille ! Ouhao! Dire qu’il a fallu que ça se passe quand je n’étais pas là... Je sors du placard ma mallette spécial-filature qui a toujours épaté mes collègues, lorsque nous étions sur un gros coup. Jusqu’ici, j’étais censé être un voyageur habituel, perdu dans la masse. Il va falloir que maintenant, je me métamorphose pour passer à un autre plan : établir un lien personnel avec Gildas, et peut-être aussi avec cette Louise. Sans me vanter, on m’a souvent dit que j’avais des airs de Vittorio Gassman, pas celui de « Parfum de femmes », faut pas rêver..., mais avec cette courte barbe grisonnante et ce chapeau de pluie, je me verrais bien incarner ce bel Italien vieillissant que nous avons tant aimé. Au bout de quelques jours, mes travaux d’approche auprès de Gildas sont en bonne voie ; ça a failli déraper au départ, car il y a eu maldonne (des sleepings, si j’ose dire) : il m’a pris pour un vieux beau qui avait des vues sur lui ! Depuis le changement d’aiguillage, nous pouvons bavarder de tout et de rien, de la vie, des femmes ou de nos livres préférés. Nous dissertons, par exemple, à longueur de trajets, sur les romans ferroviaires, noirs ou sentimentaux. Un vrai filon… Gildas est intarissable sur tous les sujets que nous abordons et je ne tarde pas à trouver sa compagnie très captivante. Pendant ce temps, l’enquête sur le crime de la ligne 7 semble avoir du mal à prendre l’allure d’un TGV. Je sens que je vais aller dire un petit bonjour à mes anciens collègues, histoire de maintenir l’amitié...Mine de rien, j’arrive à leur soutirer quelques renseignements. J’apprends qu’ils interrogent systématiquement tous les passagers réguliers du train de 13h 47 et que beaucoup de témoignages concordent sur le fait que la victime a été vue en conversation avec un homme. Un portrait-robot a été établi, ce qui leur a permis de l’interpeller. Ils l’ont bien asticoté, mais rien, pour l’instant, ne permet de l’inculper. Je me garde bien de la ramener sur ce que je sais, je donne dans le prenant-prenant, j’ai une petite entreprise à faire tourner.  Le lendemain, je retrouve Gildas dans le train. Il est seul, il semble parcourir hâtivement les pages de son journal. J’amène la conversation sur l’affaire criminelle. Lui qui est d’habitude si jovial, affiche soudain une mine sombre et préoccupée. Je lui demande s’il connaissait la victime. Il me répond qu’il vient d’être interrogé par la police, parce qu’il avait été vu avec elle, le jour de sa mort. Gildas me raconte comment il a abordé la fille, la façon dont elle s’est comportée avec lui dans le train du soir. Il me dit qu’elle avait l’air complètement désespérée, toute seule au fond de sa nuit, alors il avait tenté d’apprivoiser ce jeune fauve en lui parlant à voix douce. Il ajoute que, soudain, elle s’était levée pour aller aux toilettes, peu de temps avant la gare d’Eaubonne et qu’il ne l’avait pas revue.  Me dit-il toute la vérité, ce Don juan éconduit ? A part lui, qui d’autre aurait pu en vouloir à cette fille ? Drôle de type, ce Gildas. Rien à voir avec le lourd dragueur de fond, aux ambitions situées principalement au-dessous de la ceinture. Même que, si j’étais une femme, il me plairait. Eh, Ludo ! Qu’est-ce que tu nous fais, là ? Ressaisis-toi ! Pas étonnant qu’elles tombent comme des mouches : le matin, quand elles se sont apprêtées pour un ailleurs ou le soir, quand elles rentrent, cafardeuses du train-train quotidien. Tombeur ? Hâbleur ? Tueur ?  Enghien, deux minutes d’arrêt. Des fragrances de Givenchy et de Chanel prennent le train d’assaut et l’envahissent tout entier. Renouvellement du cheptel pour notre animal... C’est à cet instant précis que Jeanne nous rejoint. La tête de Gildas ! Le loup de Tex Avery avec les yeux qui lui sortent des orbites... surtout lorsque celle-ci vient me faire la bise. Visiblement, il se demande ce que c’est que ce mic-mac. Je lui explique : - Jeanne est une amie qui m’a demandé de vous retrouver, je crois qu’elle n’a pas trop aimé la façon dont vous êtes descendu du train en marche ! Bon, maintenant je vais vous laisser, vous devez avoir des choses à vous dire.  Le lendemain, j’invite mon ancien coéquipier, Charles, à dîner. Nous parlons du bon vieux temps, des enquêtes passées et en cours. J’aimerais savoir où en est celle du meurtre du train de nuit. Charles me dit qu’ils sont à la recherche de la personne à qui appartient la boucle d’oreille trouvée dans la main fermée de la victime. J’insiste pour avoir la description du bijou : un clip en forme de cœur. Je sais bien que maintenant, ce ne sont plus mes oignons, ma mission auprès de Jeanne est accomplie, mais j’ai été embarqué dans une histoire dont je voudrais connaître la suite, et là-dessus, j’ai une hypothèse folle à vérifier. Ouvrir une porte sans laisser de trace n’est pas un problème, juste une question de doigté. Bel appartement ancien, plutôt raffiné, si ce n’est cette ambiance bordélique qui règne dans toutes les pièces. Des bouquins partout, normal avec sa profession…, mais aussi des vêtements qui jonchent le parquet de la chambre et même du bureau. J’enjambe tout ça, je regarde partout, à la recherche de quelque chose qui pourrait m’en dire plus sur la propriétaire des lieux. J’ouvre les armoires, je fouille même à l’intérieur des boîtes à chaussures… Une bonne vingtaine, bien rangées. C’est curieux, ça, qu’elle soit aussi ordonnée avec ses chaussures, alors qu’elle balance ses vêtements n’importe où ! La première boîte contient des escarpins noirs, la deuxième...Bingo !... un cahier à spirale jaune, la troisième des talons aiguilles rouges, la quatrième un cahier à spirales bleu...Ainsi de suite, jusqu’à former une pile de dix cahiers datés avec précision. Fébrilement, je feuillette les journaux intimes à rebours. « Ce matin, j’ai rencontré quelqu’un dans le train. Il m’a tout de suite plu. Il est beau comme un Dieu, sexy et tout... Il s’appelle Gildas. J’aime beaucoup ce prénom, pas commun. Lui non plus n’est pas ordinaire, il a un charme naturel et semble attentif, c’est un homme qui écoute. J’aimerais bien le revoir. » Quelques jours plus tard : « J’ai revu Gildas plusieurs matins de suite. J’avais le cœur qui battait comme à 15 ans ! Nous nous parlons comme si nous nous connaissions depuis longtemps. Je n’ai jamais ressenti une telle complicité. Nous avons plein de goûts communs, en particulier pour la littérature et le cinéma. Je crois que j’ai enfin trouvé l’homme de ma vie. Je me sens capable de tout faire pour le garder.» Je saute au jour du crime. « Décidément, c’était mon mardi noir aujourd’hui ! Pour une fois, je ne travaillais que l’après-midi et dans le train j’ai surpris Gildas avec une espèce de zombie cadavérique tout en noir. Il ne m’a pas vue, j’ai entendu qu’il la baratinait en se servant de sa lecture comme entrée en matière... ça, je n’ai pas supporté ! Ca m’a achevée quand il lui a donné rendez-vous au dernier train. Ensuite, au boulot, cette pouffiasse de Roseline n’arrêtait de tortiller du popotin en tournant autour du directeur de collection. Il va falloir que je m’occupe d’elle si je ne veux pas que le poste d’adjointe me passe sous le nez. Dans le train de nuit, j’ai assisté à la scène entre Gildas et sa dulcinée. Je suis passée à l’action lorsqu’elle s’est dirigée vers les toilettes. Gildas n’a rien vu, il était de dos. Pas de témoins, il n’y avait que deux autres personnes endormies. J’ai forcé la porte au moment où elle la refermait et… La prochaine sur la liste, par exemple la Roseline, n’a qu’à bien se tenir ! Je jette un coup d’oeil aux autres cahiers. Des lignes remplies d’espoir et de déception, de haine et de menaces. J’explore toutes les étagères. Enfin, comme récompense à ma ténacité, je trouve la boîte à bijoux. Dans de petites cases, des boucles d’oreilles de toutes formes et de toutes couleurs offrent une symétrie impeccable, but, nobody’s perfect, un clip tristounet en forme de cœur se désole d’avoir perdu son jumeau. Et sous la boîte à bijoux, une écharpe en soie. Abasourdi, je referme le placard des horreurs. FIN TEXTE précédemment publié et remanié.

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