Ce qu'elle aimait le plus chez lui, alors qu'abandonné mollement il sommeillait sur la couche en désordre, et que filtrait la lumière du jour à travers les persiennes, c'était cet endroit là que le soleil atteignait maintenant, et éclairait ainsi, plus blanc, plus clair que le reste de son corps immobile et fondu dans l'ombre.
Ce qu'elle aimait le plus....
C'était son ventre.
Plat horizon de sa peau. Lisse, paysage dune , rond et sans berges. Le mouvement ténu de sa respiration le faisait se soulever doucement et s'abaisser aussitôt, comme un drap tendu sous le souffle du vent. Elle se penchait doucement vers le grain de sa peau et sondait son mystère. Le moindre battement de cils aurait pu troubler cette surface paisible, aussi ne bougeait-elle pas, et cessait même de respirer. Il fallait que cet instant demeure, éternité sans faille, dans son regard seul. Elle embrassait déjà des yeux chaque millimètre de la peau offerte, et se retenait d'y plonger son visage. Et sa bouche tremblante.
Elle se contentait de regarder palpiter la vie au creux de cet homme endormi... et d'arrêter le temps.
Son ventre c'était différent de ses bras, de ses jambes...Musclés et prompts au mouvement, ils avaient une vie propre. Autonomes, ses bras, ses jambes. Acteurs dans le jeu de la vie. Quand ils la tenaient embrassée, tout entière, encerclée par leur puissance, étouffée même parfois par leur force. Et l'anneau de ses jambes autour de ses reins, si ferme et si chaud, elle en connaissait par coeur la forme et la certitude. Différent aussi de son sexe vainqueur.
Son ventre ce n'était pas pareil. Il était là, abandonné et nu, juste à battre à l'intérieur, une plage de sable sur l'océan profond et mystérieux. Parfois un chant de source, parfois un gargouillis, le chant des baleines de l'autre côté des abysses...Ventre incapable de savoir, et de faire. Soumis. Tenu de rester à sa place. Qui n'avance que poussé par le corps tout entier. Ventre vulnérable. Ventre confiant d'enfant qui dort.
Elle veillait, gardienne jalouse. Elle effaçait d'un pincement de lèvres, les nuits qui ne furent pas siennes. Les autres caresses et les autres baisers. Elle rayait les autres, femmes amoureuses ou de passage, qu'il avait pour un soir ou un an choisi d'aimer. Elle s'insurgeait en silence, en dedans, de n'avoir pas été la première, et la seule. Elle aurait voulu l'avoir sculpté elle-même, Pygmalion d'amour.
Sa main légère, oiseau de plumes, survola un instant la peau en silence, et se posa. En orbes grandissants, elle dessina des cercles....puis traça son prénom en travers, sur toute l'étendue. Comme on signe.
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