(suite)
Cen était trop pour elle. Elle se tut et ferma les yeux. Elle senfonça dans son lit, semblant ne plus vouloir refaire surface. Elle pleura à gros sanglots, longtemps.
Jacob était bouleversé par les paroles et le chagrin de cette femme.
Lévidence se faisait.
Il attendit, puis tout doucement, lui demanda :
- Vous êtes Mina, nest-ce pas ?
Lentement, elle se releva.
- Comment le savez-vous ?
Jacob lui sourit. Mina crut revoir le sourire de Nathan. Il souriait et riait souvent lorsquils étaient ensemble.
- Avant de répondre à votre question, jaimerais dabord savoir pourquoi vous étiez dans la maison et ce qui sest passé.
Mina hésita, mais instinctivement elle se sentait en confiance avec Jacob.
- Je suis revenue dans la région il y a quelques semaines. Tous les jours, je venais sur la plage et restais des heures à contempler la villa, plongée dans mes souvenirs et mes interrogations. De temps en temps, il me semblait voir des ombres se déplacer à lintérieur.
Et puis un jour, en fin daprès-midi, lorage a éclaté brusquement.
Cest alors que jai vu une bande, enfin une horde de garçons et de filles courir sur la plage en direction de la maison pour sy abriter.
Ils avaient une allure à faire peur, cheveux peints de toutes les couleurs, guenilles noires et treillis, visages transpercés danneaux et de clous. Ils hurlaient et criaient comme des sauvages.
Malgré la pluie et le vent, je restais là, incapable de bouger.
Ils ont cassé la porte du garage qui sest mise à battre au vent.
Jai mis un certain temps avant de réagir, javais peur.
Et puis jai entendu des bruits de vitres brisées. Je me suis rapprochée de la maison.
Je les entendais crier, courir, sauter partout.
Ils étaient en train de tout casser, alors je me suis précipitée à lintérieur et jai essayé de les chasser de là en brandissant ce qui me tombait sous la main.
Alors là, ça na fait que redoubler leur excitation et leur fureur, ils se sont jetés sur moi à plusieurs, mont balancée dans un coin de la pièce et rouée de coups de pieds
après, je ne sais plus
Quont-ils fait ensuite?
- Je ne sais pas, rien de plus sans doute. Ils devaient squatter la maison depuis quelques jours et vous les avez dérangés. Ils ont dû senfuir en croyant vous avoir laissée pour morte. Daprès Pierrick, vous étiez dans un très sale état. Mais
maintenant, pouvez-vous enfin me dire pourquoi vous veniez tous les jours à cet endroit ?
Mina paraissait maintenant très lasse. Elle était pâle, ses lèvres et ses mains tremblaient.
Jacob sen rendit compte et sexcusa :
- Pardonnez-moi dêtre aussi impatient, vous devez avoir besoin de vous reposer maintenant. Préférez-vous que je revienne vous voir demain ?
- Oui, je veux bien, nous avons beaucoup de choses à nous dire. Cela me fait du bien de vous voir.
- Alors, à demain, et puis
jaurai une surprise pour vous !
- Ah ?... une surprise ?
*
Lorsque Jacob referma la porte, Mina se mit à repenser à tout ce qui venait dêtre dit : laccident, la mort de Nathan qui expliquait son silence à sa sortie de prison, il y a trois ans.
Elle avait connu Nathan lorsquils étaient étudiants, lui en Droit, elle en Lettres.
Ils sétaient tout de suite bien entendus, même âge, même religion, même passé familial douloureux, même goût pour la littérature et le cinéma.
Il y avait entre eux une sorte damitié amoureuse, jamais avouée. Ils étaient très souvent ensemble, seuls ou avec des copains, ils riaient, samusaient et avaient des discussions passionnées.
Et puis Nathan, qui avait beaucoup de succès auprès des filles, sétait laissé séduire par une certaine Clotilde, qui avait lavantage davoir pour père un avocat célèbre.
Nathan avait alors commencé à fréquenter les milieux chics et était devenu insupportable à ses yeux.
Leurs chemins avaient divergé.
Peu après, la fille était tombée enceinte et Nathan lavait épousée. Rideau.
Sa vie à elle fut ensuite une succession daventures et de périodes de solitude.
Une de ces aventures se termina tragiquement une nuit, alors que son compagnon du moment, complètement ivre comme souvent, sétait mis à la frapper très violemment sans raison. Elle navait dû sa survie quau coup quelle lui avait asséné sur le crâne avec un lourd cendrier. La tête de son compagnon avait heurté le rebord de la cheminée et il avait été tué sur le coup.
*
Elle avait fait appel à Nathan pour la défendre.
Cela faisait vingt ans quils ne sétaient pas revus, mais ils furent aussi heureux lun que lautre de se retrouver, malgré les circonstances.
En attendant le procès, elle fit de la détention provisoire pendant un an et deux mois.
Nathan venait la voir deux ou trois fois par semaine. Ils retrouvèrent vite leur ancienne complicité, il leur arrivait même de plaisanter et de rire. Ils se racontèrent les difficultés de leurs vies réciproques.
Nathan lui permettait de garder bon moral, elle ne se sentait plus seule. Il lui apportait les livres quil venait de lire, ou lui racontait les films qui lui avaient plu.
Son affection pour Nathan se transforma vite en amour, elle navait plus que lui, elle avait tout son temps pour penser à lui, rêver de lui.
Elle essayait de combattre ce sentiment, car elle nétait pas certaine quil soit partagé.
Elle connaissait Nathan pour sa pudeur, sa rectitude, son sens de léthique et des responsabilités, elle savait que tant quelle serait sa cliente, rien ne serait dit à ce sujet.
Elle lui écrivit des lettres où elle osait lui confier ce quelle ne pouvait lui dire, mais il nen fit jamais aucun commentaire.
Toujours constant, toujours présent, gentil et attentionné, mais cela nallait pas plus loin.
Au procès, elle fut relaxée.
Nathan et elle allèrent fêter lévènement au café où ils avaient lhabitude de se retrouver lorsquils étaient étudiants.
Les jours suivants, alors quils avaient lintention de se revoir, plus rien, plus de nouvelles.
Elle avait attendu longtemps que Nathan lappelle, nosant pas le faire elle-même.
Plus le silence se prolongeait et plus le doute sinstallait en elle.
Elle se disait quelle navait pas compté pour Nathan autant quelle le croyait, quil était retourné à ses affaires, à sa famille.
Elle navait pas cherché à savoir, à comprendre, de peur de lui paraître ridicule.
La seule chose qui lui restait à faire était de partir loin, ailleurs, pour essayer doublier tout cela.
Sen suivit une profonde dépression, dont elle ne pouvait sortir en raison des questions obsédantes quelle se posait au sujet du silence de Nathan.
Cela dura environ trois ans, jusquà ce quelle prenne la décision den avoir le cur net pour pouvoir tourner la page.
Elle connaissait la villa Nordhaisie, pour avoir entendu la description que Nathan lui en avait faite lors de sa détention. Elle se dit quil fallait quelle se rende à cet endroit pour en savoir plus
*
Mina se demanda ensuite, en se rappelant les propos de Jacob, comment il connaissait son prénom ?
Est-ce que Nathan lui avait parlé delle ? Cela lui paraissait très improbable.
Alors, quoi ? Et la surprise ? De quoi avait-il voulu parler ?
Elle avait hâte dêtre à demain. Epuisée, elle sendormit.
*
Le lendemain, Jacob arriva de bonne heure à lhôpital. Il se dirigea rapidement vers la chambre de Mina, ouvrit la porte et
la trouva vide, les draps pliés sur le lit. Affolé, il parcourut le couloir à la recherche dune infirmière.
- La dame du 14
où est-elle ? Elle nest pas
?
Linfirmière, lair renfrogné et placide :
- Attendez ici que je me renseigne, je nétais pas de service cette nuit
Pendant que Jacob restait planté dans le couloir, en proie aux pires suppositions, il entendit derrière lui une petite voix qui lappelait :
- Pssst... Jacob ! Cest moi, je ne tiens pas très bien debout, mais je ne veux pas rester une minute de plus dans cet endroit, je suis prête, on sen va ?
- Mais, Mina, vous nêtes pas en état de
- Si on attend, on va se faire remarquer, allez ! donnez-moi votre bras
La sortie de lhôpital se fit dans la plus grande simplicité, à leur grand soulagement.
Sur le chemin du retour, ils se mirent à commenter cette petite aventure et Mina demanda :
- Alors
vous maviez parlé dune surprise, quest-ce que cest ?
- La surprise, cest plutôt vous qui me lavez faite, non ?
Répondit Jacob en riant.
- Mais, jai moi aussi quelque chose pour vous.
Il lui tendit un paquet. Elle louvrit rapidement et découvrit un trousseau de clés.
Devinant son étonnement, Jacob lui expliqua :
- Jai pensé, mais cest vous qui déciderez, que vous alliez avoir besoin de reprendre des forces dans un endroit qui a tenu une grande importance pour vous, un endroit où certaines lettres nattendent quà être lues, des lettres qui auraient pu vous rendre heureuse, au moins quelque temps.
Vous pourrez y rester autant que vous voudrez, sachez en tout cas que moi, cela me rendra heureux.
FIN
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