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Perdu de vue par Annaconte

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Photo de groupe : Putain ! Ca y est ! ils m'ont retrouvé ! Plus de dix ans que j'avais réussi à leur échapper ! Quand je dis dix ans, je veux dire c'est relatif. En vérité, vingt ans que je les avais semés, tous, presque tous, il y en avait encore un ou deux bien accrochés et qui suivaient ma trace, et puis je suis arrivé ici, dans ce trou paumé, ça va faire dix ans, et depuis j'ai finalement réussi à me faire oublier. Une véritable planque ce bled, trois maisons, deux fermes, un chemin de bout du monde, fermé à cause d'éboulis, pas un chat sauf ceux de la voisine qui errent la nuit en miaulant à la lune. J'étais content d'avoir dégoté ce petit terrain pour rien, face à la vallée, j'y avais fait placer une vieille caravane avec branchements eau et électricité, et vue imprenable sur la montagne . Le bonheur. Le matin, cueillette des légumes et des fruits, transportés dans ma petite estafette jusqu'au marché et retour en début d'après midi à "la maison" . Bricolage et entretien, arrosage et taille. Le soir, juste mes bouquins, ma pipe, mon chien. Le bonheur je vous dis. Et puis Mathilde. La femme de mon coeur. Mariée , deux enfants, grands mais quand même, Mathilde dont j'étais amoureux. Et qui était amoureuse aussi. On se rejoignait à la moindre occasion. La passion. La peau. Dix ans que ça durait. Sans projet, sans possible, sans issue. Comme ça......, sans issue. J'étais heureux. Un drôle de petit bonheur. Facile, pas compliqué. Juste de l'air, du temps, de l'espace, ce rythme lent des saisons, le silence.... La vie. La vraie. Ou Walden dans les bois. J'avais rêvé de ça. Je voulais vivre comme ça. Ca n'a pas été simple. Il a fallu quitter les vieux oripeaux et tout brûler. Ne rien laisser derrière c'est tout un art. Ca m'aura pris un demi-siècle quasiment. Changer de boulot, renoncer à ma carrière, à ce confort, à mes certitudes. Abandonner tout. Femme et enfants. Enfin ils étaient grands eux aussi. Perdre famille et amis en même temps. Et supporter les couplets sur le couple merveilleux que nous formions, et les tirades sur la culpabilité que devrais me trimballer dorénavant comme un boulet jusqu'à la fin de mes jours. Je ne culpabilisais pas. J'étais bien. Mais voilà qu'on m'avait retrouvé. Putain comment c'était possible ? Je n'avais plus donné signe de vie à personne. Au début par flegme, ensuite c'était trop tard, et plus l'envie. Et puis tout le monde se foutait complètement de ce je pouvais bien faire maintenant, de ce que j'étais devenu. Et moi, ma foi, je me contentais d'être. Les autres ne me passionnaient plus. J'avais pris une autre route. J'allais donc les revoir. Tous. Pas un par un, pas dans l'intimité d'un pot autour d'une table à deux ou trois. Non, carrément tous ! Ensemble. Et ce serait la fête du siècle. C'était écrit sur le carton. Les retrouvailles des Anciens du Lycée Claude Simon. Y aurait même ceux de la Fac de Droit, et des amis d'amis. Avec leurs moitiées. Et leurs enfants s'il en restait encore à la maison, des Tanguy presque quadragénaires. Je ne pourrais pas ne pas y être. Je ne pourrais pas ne pas y aller. On comptait sur moi. On m'attendrait ! Putain ! Maintenant qu'on m'avait retrouvé,je ne pourrais plus faire le mort. J'allais devoir bouger. Parler. Trouver des explications. Il faudrait que je raconte. Et même que je me justifie. Parce que, on a beau dire, même si on ne m' y forcera pas, même si on ne me jugera pas, n'empêche qu'on attendra de moi une narration détaillée de mon histoire. Et une illustration de ma réussite. Putain ! mais qu'est-ce que j'allais bien pouvoir trouver à dire ?? Comment pourrais-je leur faire comprendre, à eux tous, brillants sans doute, arrivés certainement, au faîte de leur pyramide et de la notoriété, avec une femme sublime accrochée à leur bras, et le hâle de leurs dernières vacances à Hammamet ou aux Seychelles encore sur leurs visages confits de satisfaction. Comment pourraient-ils comprendre que j'aie pu renoncer à tout ça ? Pour une vie improbable de sauvage au trouducul du monde ? A vivre de vent et de nature. D'amour et d'eau fraîche... Je savais qu'ils ne comprendraient pas. Qu'ils me regarderaient d'un air narquois. Que je me sentirais devenir sous leurs commentaires ou leurs silences polis, une sorte d'étranger, de paria, de banni. Peut-être quelqu'un parmi eux m'envierait-il qui aurait aimé.... et qui n'oserait pas,...... Sous leur jauge d'esthètes raffinés, je ne pèserai guère plus lourd qu'une toile anonyme, et ils ne sauront pas où, dans quel camp, me classer. Car ils auront beau dire, ils seront un peu décontenancés devant mon manque probant d'ambition et de rêves. Ils voudront entrer - mais ne le pourront pas- dans ma tête de fou invétéré. Ils resteront dehors. Ils n'entreront jamais. La porte est étroite qui mène là où je suis arrivé. Je me suis en passant écorché les ailes et brisé les genoux. J'ai tout laissé. Je n'ai plus rien. Simplement, mon amour pour Mathilde et mon temps à donner....

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