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Conte de Noël par Misty44

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Emma souffle les bougies une à une. Seules les lumières clignotantes du sapin et le rougeoiement des braises éclairent encore le salon. Elle est épuisée mais n’a pas envie de se coucher. Tous les siens sont là, autour d’elle, déjà endormis. Ses deux filles, sa nièce, leurs maris et compagnons, ainsi que ses petits-enfants et petits neveux. Ils sont tous venus. Encore maintenant, Emma n’est toujours pas sûre qu’ils viennent pour elle. Elle se dit qu’ils viennent par habitude, ou pour la maison qui est confortable, ou pour se retrouver entre eux. Toujours ce doute qui l’empêche de se réjouir pleinement des bons moments. Elle « l’égoïste » à qui sa mère avait prédit qu’elle finirait sa vie seule… Ils sont tous venus, même ceux de l’ouest de Paris, de l’est de Cherbourg, du nord de la Vendée, non, elle ne va pas mourir la mamma, elle est même en pleine forme. - Bon, alors, Emma, il faudrait peut-être que tu cesses de t’apitoyer sur toi !! Emma se demande si elle n’est pas en train de dérailler, cette voix-là, d’où vient-elle ? - Eh bien oui, quoi, ils sont tous là, réjouis-toi et dis-toi bien que tu y es sans doute pour quelque chose. Qui est-ce qui a eu ces enfants et les a élevés de telle façon qu’ils ont envie de se retrouver si souvent dans cette maison que tu as choisie assez grande pour ces rassemblements ? Emma est interloquée, on ne lui a jamais parlé comme cela. Il est vrai qu’on mange bien, on boit bien et on rit beaucoup avec elle. Petits et grands, ça représente, en la comptant, treize affamés autour de la table, et là, c’est toujours le problème de cette foutue superstition… Alors Emma a trouvé la parade, elle leur fait le coup de l’invité-surprise à chaque fois qu’ils viennent tous. Ah, Emma et ses « fiancés », c’est quelque chose ! Dès l’automne, lorsque les vacances ont prit fin et que ses petits-enfants et leurs parents ont quitté sa maison du bord de mer, Emma part à la chasse… au « Père Noël », ça l’occupe pratiquement à plein temps. Elle passe une petite annonce dans le journal local. « Recherche personne pour jouer Père Noël en famille. Nourri, logé ». Elle organise une sorte de casting. Très sérieux, il lui faut choisir le bon sous tous les rapports. Sa mère lui disait qu’elle était une « délurée », sous prétexte qu’elle ne jouait qu’avec les garçons, toute petite déjà. Maintenant qu’elle est veuve après trente ans de fidélité, où est le mal ? - Mais oui, Emma, tu es grande maintenant ! Qui te dit le contraire ? Ses filles ont eu du mal à digérer cette fantaisie, mais elles n’ont pas eu d’autre choix que de s’y faire. Après un flottement de quelques années, Emma est parvenue à leur faire comprendre que ce geste représentait beaucoup plus qu’une excentricité. Pour elle, c’était une question de survie de pouvoir enfin, enfin être elle-même envers et contre tout. Pouvoir faire taire le chœur des voix maléfiques et celles plus silencieuses mais d’autant plus cruelles qui l’avaient persuadée qu’elle n’avait rien pour réussir sa vie, pour plaire et être aimée. Il lui a fallu du temps et de la persévérance pour expliquer à ses enfants et à ses amis qu’elle avait besoin d’être entourée et rassurée pour ne plus entendre ces phrases assassines qui revenaient sans cesse : « regarde comment tu es attifée, tu me fais honte » ou « arrête de manger, tu es déjà assez grosse ». Emma a découvert bien tard qu’elle avait traîné toute sa vie ce boulet de laideur et d’obésité alors que ce n’était qu’une vue de l’esprit. Des photos d’elle retrouvées dans un tiroir d’une armoire, après le décès de sa mère, démontraient qu’elle avait été une jolie adolescente élancée. Ce jour-là a marqué le début de sa perplexité sur les choses qu’on croit dur comme fer parce qu’on n’a pas les moyens de les remettre en question. Elle a entrepris depuis de faire le ménage dans sa tête, et il y avait du boulot... -Il était temps que tu te prennes en main. Aujourd’hui, bien sûr, elle est loin d’avoir la silhouette de ses quinze ans, mais elle s’est aperçue qu’aucun de ses invités-surprise n’avait jamais trouvé ses rondeurs rédhibitoires ! * Durant ses trente années de mariage, Emma a douté de ses capacités à recevoir correctement. Dès le début, elle partait avec le dossard de « bonne à rien », son mari était prévenu, il avait voulu faire avec. Que de crises ! Il était exaspéré de la voir passer plus de temps à ce qu’il appelait des futilités, telles que la décoration, l’ambiance, faire un beau bouquet, dresser une belle table, qu’à faire le ménage à fond ou élaborer un menu compliqué. Emma s’est toujours refusée à faire de sa maison un lieu où personne n’ose bouger de peur de salir ou de casser, à faire des plats qui la confineraient pendant des heures dans la cuisine à l’écart de ses invités...surtout pas, quelle horreur ! Elle avait vécu cela et ce souvenir l’oppressait encore. Emma préfère de loin les repas simples ou improvisés, elle trouve toujours des volontaires pour mettre la main à la pâte… surtout quand il y a un truc à boire ou à grignoter près des fourneaux. Emma remet une bûche dans la cheminée, allume une cigarette et se verse une larme de Cognac. Après tout, c’est Noël…. * A l’automne qui avait précédé ce Noël, elle avait été en contact avec plusieurs hommes dont elle avait vite perçu les motivations assez primaires…Et puis un jour où elle avait fait la connaissance de celui qui devait être l’élu. Elu, malgré les différences qui auraient pu les opposer, les faire passer à côté du moindre début d’histoire. Bien sûr, cet homme, Philippe, ne devait être sélectionné que pour jouer le quatorzième invité, mais les « entretiens » s’étaient succédés et étaient vite devenus des prétextes pour se rencontrer. Emma était peu à peu tombée sous le charme de cet homme qui semblait prendre plaisir à l’écouter, à la regarder, qui semblait aussi impatient qu’elle de l’entendre au téléphone, de lire ses mails ou de se rendre à leurs rendez-vous. Philippe qui semblait si réservé et si sérieux au début, arrivait à la longue à être de moins en moins sur ses gardes, à se confier, à rire aux éclats avec elle pour un oui, pour un non. Ils se mirent à passer de plus en plus de temps ensemble. * Les yeux fermés, Emma laisse défiler tous ces moments joyeux et précieux… - Je boirais bien un petit Cognac avec toi… Cette fois-ci la voix est bien réelle. Elle sourit en se retournant, son Père Noël particulier s’avance vers elle et la prend dans ses bras. Emma se dit qu’elle passerait bien aussi la Saint-Sylvestre avec lui… et peut-être même…pourquoi pas… ?

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