Quelques toux retenues, quelques grincements de chaises et le silence se fît enfin
Ils attendaient tous ce moment depuis tellement longtemps.
Droit comme un cierge, le vieux curé se racla la gorge et commença son récit.
Son accent qui fleurait bon les marchés de Provence, sa vieille soutane fatiguée par des sermons trop passionnés donnaient à la scène un petit quelque chose qui rappelait les folles années de Don Camillo.
Aussi devant cette image surannée, du premier banc jusqu'au dernier, il n'était pas un pèlerin qui ne soit suspendu à ses lèvres.
Un sourire béat illuminait le visage des plus naïfs..
Le vieux prêtre les tenait déjà en haleine.
« Ce matin là, comme tous les matins je poussais la porte du presbytère pour descendre au verger ramasser quelques fruits... Comme vous pouvez l'imaginer les prières ne nourrissent pas suffisamment le pauvre prêcheur que je suis... Et j'avoue avoir un petit penchant pour les figues bien mures... » Ajouta-t-il en souriant malicieusement.
« J'en écrase la pulpe sur un quignon de pain frais et je savoure ce délice des papilles dans les volutes d'un bol de café brulant... C'est mon petit péché mignon... Après tout je ne suis qu'un pauvre mortel ! »
Quelques rires vite étouffés par la gravité de l'instant fusèrent autour de lui.
« Et puis juste après, pour obtenir la miséricorde de notre Seigneur, je m'en allais couper quelques roses au jardin... Je sais bien qu'il aime me voir les déposer aux pieds de la statue de Marie ! »
En se racontant le vieil homme agitait les bras et sa soutane ondulait autour de lui alors que ses paroles tourbillonnaient au dessus du public attentif.
« Mais ce matin là n'était pas un matin ordinaire... les premières lueurs de l'aube donnaient tant de magie au paysage que je n'ai pu résister à l'appel de la nature.
J'ai poussé la grille du chemin.
Un étroit petit chemin qui descend vers le ruisseau en se tortillant comme du liseron entre les vignes.
Autour de moi les pierres moussues embaumaient encore la fraicheur de la nuit qui s'éloignait.
Les étoiles du ciel avaient laissé des perles de rosée dans les feuillage du romarin. Les bouquets de farigoule et de marjolaine s'embrassaient en répandant leurs effluves enivrantes.
Au dessus de moi, les fines dentelles du fenouil s'étreignaient en formant une arche aux couleurs lumineuses.
Le spectacle était féerique. De mémoire de vieux prêtre le sentier qui mène au paradis ne devait être plus joli !
Je dois avouer que la magie du moment m'a fait perdre un peu la tête.
Oubliant la prière du matin je me suis mis à gambader entre les genévriers et les genets. Je me suis mis à cueillir les fruit de l'arbousier, à respirer les fleurs du chèvre-feuille.
Contournant les agaves, piétinant le millepertuis j'ai parcouru la garrigue sous le soleil montant et je me suis retrouvé au bord du ruisseau.
C'est là que tout a commencé ;
Une petite voix tout d'abord très timide est venue me chatouiller l'oreille...
- Pssst.. hé monsieur !!
Il n'y avait personne... rien que le gazouillis de l'eau sur les cailloux.
- Psssst... psssst hé monsieur... oui vous !
Sur un coussin de mousse une minuscule grenouille aux reflets d'émeraude me contemplait.
Ses grands yeux constellés de paillettes d'or semblaient m'implorer.
- Moi ! Fis-je en tremblant de surprise.
- Oui vous monsieur ! S'il vous plait aidez moi monsieur !
Effrayé par la stupéfiante apparition je reculais d'un pas, m'agenouillais et ôtais mon béret en implorant le ciel de m'épargner cette diabolique épreuve.
- Je vous en prie, ne craignez rien mon bon monsieur, je ne suis qu'un tout petit garçon qu'une vilaine fée a transformé en grenouille... Sauvez moi ! Emmenez moi sous votre toit et de ce mauvais sort sur le champ je serais délivré !
Aussi déboussolé que le sot du village je déposais la pauvre petite bestiole au fond de mon béret et sur le champ reprenais le chemin du presbytère en marmonnant des « Notre Père » pour dissuader le diable de suivre mes pas.
Une fois la porte de la maison franchie, point de garçonnet dans mes bras! Rien que mon béret tout froissé que je déposais aussitôt sur la table .
La petite grenouille bondit sur la nappe et se remit à sangloter.
- S'il vous plait mon brave monsieur, aidez moi je vous en conjure... Pour me redonner vie il vous faut encore me réchauffer au fond d'un grand lit ! Et là seulement là je redeviendrais le gentil garçonnet que j'étais avant de croiser le chemin de la vilaine fée... »
Le vieux curé que le récit semblait avoir éprouvé s'épongea le front du revers de la manche et se retourna vers les jurés en joignant les mains au ciel.
« Voilà Messieurs et Mesdames... Voilà les circonstances de ce terrible malentendu... le récit de cette effroyable histoire derrière laquelle, j'en suis persuadé, se tapit Satan en personne.
Voilà pourquoi votre Honneur, ce matin là les gendarmes ont retrouvé cet étrange petit garçon au fond de mon lit... »
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