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Mourir de neige par Colinec

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« Y aura-t-il de la neige à Noël? »Ce film de Sandrine Veysset, riche de sentiments forts et d'images inoubliables, m'avait beaucoup émue, et j'ai pensé à elle en écrivant ce qui suit. Qu'elle soit remerciée pour cette émotion. *** Mourir de neige Il y a de la neige en hiver. Ben oui, tu le sais. Mais non, ça ne te fait pas peur. A la campagne, les routes ne sont pas toujours dégagées. Oui, oui... bon. Tu t'es installée dans la maison inoccupée du métayer. Tu sais que c'est une vieille maison, et le propriétaire s'est même fait tirer un peu l'oreille pour te la louer. Il a fini par céder, en te gratifiant d'un sourire moqueur, à ce « caprice d'intello-écolo-de la ville », non sans t'avoir rappelé qu'il n'y a pas d'isolation. Tu as besoin d'isolement, pas d'isolation. Besoin de paix pour ce mois de retraite. Il y a de la neige, des congères? Bon. Tant mieux. Tu te régalais d'avance de ce silence cotonneux. Tu as réussi à allumer l'énorme poêle. Il y a deux ou trois stères de bois dans la grange. Tu as fait plusieurs voyages et construit un joli tas de bûches près du poêle. La maison s'est un peu réchauffée. Pas suffisamment pour que tu dormes dans la chambre. Tu as mis un duvet sur le canapé que tu as déplacé devant le poêle, le traînant laborieusement sur les carreaux rouges - des carreaux de Buxières- posés sur le sol inégal. Dans la cuisine, ton panier contient assez de provisions pour quelques jours. Tu souris à l'idée de cette sécurité de fourmi. Tes bottes en caoutchouc sèchent près du feu. Il ne manque plus que des raquettes... Tu as une pensée pour les enfants. Tu imagines un instant qu'ils sont là et que tu dois les réchauffer, avec toi dans le duvet. Un instant, tu sens leurs pieds-glaçons contre tes jambes et entends leur souffle régulier dans ton cou. Tu hausses les épaules et aspires un grand coup. Les enfants ne sont plus des enfants, ils vivent leur vie, au loin, dans des appartements en ville. Ils ont chacun un compagnon. Tu ne veux pas être omniprésente dans leur vie. Il neige. Tu as allumé ton ordinateur et trouvé un réseau, remis une bûche avant de lire tes mails. Rien d'urgent. Tu t'es préparé un bon thé et as repris ta place devant l'écran. Tu as vu au passage qu'Il était en ligne. Il ne t'a pas écrit. Toi non plus. C'est peut-être comme ça que doit finir une histoire d'amour, dans le silence. Il va bien. Tu penses soudain à toute cette douleur de l'écriture, une douleur qui n'appartenait qu'à lui. C'est passé. Il a fini son texte. Le blues post partum vous a éloignés l'un de l'autre. Il neige. Te voilà bien loin. De tout. Bien, loin de tout. C'est ce que tu voulais. Oui, c'est bien. Tu savoures le bonheur de tant de sérénité. Personne ne s'inquiète de toi, aucun travail urgent ne te gâche l'instant. Tu regardes par la fenêtre. Le soleil est descendu derrière le gros chêne et il te la joue carte de Noël et luxe des couleurs. Tu n'allumeras la lumière que quand la nuit sera totale. Un oiseau s'est posé devant la maison, tout près. Il ne se doute pas qu'elle est habitée, ce soir. Il sautille dans la neige où il écrit de mystérieux messages. Tu soupires d'aise et te souviens d'un haïku. Tu vas enfin pouvoir te mettre au travail, le tien, le vrai... Plus tard. Tu es au bon endroit pour ça. Outre-terre. Plus d'enfants, plus d'amant, plus d'amis, plus d'horaires de travail. Paix et silence. Il faudrait pouvoir s'arrêter là. Mourir dans la vieille maison du métayer. Mourir de neige...tu ris toute seule. ***

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