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Sur la morale anarchiste par Sifr

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Rejetant la morale religieuse mais aussi le nihilisme, Kropotkine tente dans cet ouvrage de jeter les bases d’une morale anarchiste. Il part du principe que tout acte humain qu’il soit bon ou mauvais découle d’une volonté de plaisir, de la satisfaction d’un besoin, du soulagement ou de l’évitement d’une peine. Il se fonde sur un constat d’égoïsme voire hédoniste de la nature humaine qui n’agirait que dans son intérêt. Il part donc d’un constat libéral et utilitariste ; il cite Bentham et Mill. Mais se basant sur des exemples issus du monde animal, il repousse l’aspect individualiste de l’utilitarisme pour avancer une morale utilitariste et collective : « Est-ce utile pour la société ? Alors c’est bon. Est-ce nuisible ? Alors c’est mauvais. ». Empreint d’une foi dans les progrès futurs de l’humanité mais se fondant toujours sur l’observation du monde animal, Kropotkine tempère ce critère d’utilité par une forme d’altruisme ou plus exactement par l’empathie : « Fais aux autres ce que tu aimerais qu’ils te fassent dans les mêmes circonstances ». Pour étayer ses propos, il se réfère à la Théorie des sentiments moraux d’Adam Smith se plaçant ainsi en droite ligne du libéralisme même si Kropotkine désavoue ensuite les conceptions économiques - pour le moins étrangères à l’anarchisme - énoncées plus tard par Smith dans l’Économie politique. Pour Kropotkine, les êtres sont solidaires par nécessité, par utilité, par ce que l’expérience animale et humaine montre que l’entraide est le seul moyen de préserver l’espèce et la vie. Sa morale anarchiste est donc à la fois, scientifique, utilitaire et altruiste, ce qui a pour avantage de se libérer de la morale chrétienne tout en se distinguant du libéralisme économique et de la morale marchande (l’intérêt bien compris). Abordant la problématique de l’usage de la force par les anarchistes, le géographe sous entend que celle-ci ne peut être utilisée que pour des causes justes : « par ce que tout homme de cœur demande à l’avance à ce qu’on le tue si jamais il devient vipère, qu’on lui plonge le poignard dans le cœur si jamais il prend la place du tyran détrôné. » Kropotkine s’oppose aux théories darwinistes sur l’amélioration de l’espèce par la survie des plus forts. Pour lui, l’espèce se perpétue grâce à l’entraide qui existe entre individus et par ce que chacun agit dans le sens du bien de tous. Si tôt que cette logique est brisée alors l’individu devient dangereux pour lui et pour les autres. Et c’est en raison de ce sens collectif que Kropotkine peut affirmer : « Sur cent hommes ayant femmes et enfants, il y en quatre-vingt-dix qui sentant l’approche de la folie (…) chercheront à se suicider de peur de faire du mal à ceux qu’ils aiment ». Kropotkine rejette la sanction et la punition qu’il assimile à la religion chrétienne et lui préfère la notion de « conseil ». Pour le prince anarchiste, la morale est naturelle à l’être humain mais « aujourd’hui notre sentiment se dédouble continuellement. Nous sentons que nous tous, nous sommes plus ou moins volontairement ou involontairement les suppôts de cette société. Nous n’osons plus haïr. Osons-nous seulement aimer ? Dans une société basée sur l’exploitation et la servitude, la nature humaine se dégrade. » En conséquence, le but d’une révolution anarchiste serait de restaurer la pureté de cette essence morale qui existe déjà au quotidien et qui a toujours existé en la libérant du pouvoir qu’exerce l’État, l’Église, le capital etc. Mais pour Kropotkine, l’anarchisme doit aller encore plus loin en fondant sa morale non seulement sur l’égalité mais aussi sur la liberté. La morale ne doit pas être imposée mais doit être le fruit de l’autonomie des êtres et de leurs volonté, de leur passions. Si untel fait quelque chose que je désapprouve moralement, libre à lui mais libre à moi de dénoncer son comportement et d’agir comme bon me semble. Ainsi ce que la morale anarchiste doit encourager c’est la force du dévouement et du courage qui a toujours été jusque-là injustement récupérée par les moralistes religieux ou utilitaires. On sent ici une petite parenté avec le nietzschéisme et la volonté de puissance - Kropotkine a peut-être lu le philosophe allemand. « Toute force qui s’accumule crée une pression sur les obstacles placés devant elle. Pouvoir agir, c’est devoir agir » estime l’anarchiste russe avant d’affirmer « la vie ne peut se maintenir qu’à condition de se répandre ». Et Kropotkine de lancer cette injonction : « Sois fort ! Déborde d’énergie passionnelle et intellectuelle - et tu déverseras sur les autres ton intelligence, ton amour et ta force d’action ! ». L’exubérance de la vie, la fécondité des idées, des sentiments, des actes, la volonté de les communiquer sans rien demander en retour tout cela au nom d’un idéal d’un monde libéré de l’exploitation et de la servitude telle est l’unicité de la morale anarchiste selon l’auteur. Allez à l’encontre de cet idéal, ne pas pouvoir vivre en cohérence avec lui c’est se dédoubler et perdre sa vitalité, sa volonté et c’est en définitive ce vers quoi nous pousse l’immoralité de l’ordre en place. Pour terminer Kropotkine tient à faire s’effondrer la vieille dichotomie entre altruisme et égoïsme. Ce n’est pas un hasard si il conclut sur ce sujet, dans la mesure où l’agencement entre l’individuel et le collectif a toujours été au centre des thématiques et des débats anarchistes. Pour Kropotkine, cette distinction n’a pas lieu d’être car ce qui est bon ou utile sur un plan individuel l’est aussi sur un plan collectif. Le bien de l’individu est aussi celui de la société, de même qu’on ne peut être libre si les autres ne le sont pas, de même que, selon Bakounine, la liberté d’un individu se prolonge avec celle d’autrui. Pour les anarchistes, liberté et égalité se confondent en un seul et même concept car il n’y a de liberté que dans la sociabilité et il n’y a de sociabilité que dans le respect de l’autonomie des êtres. À première vue les références à la vie animale que Kropotkine aime à faire sont un peu rébarbatives voire contestables - car au fond chacun voit bien ce qu’il veut dans le monde animal. Et vouloir le transposer au monde humain est toujours un peu risqué, la sociobiologie lorsqu’elle se plaque sur la sociologie humaine conduit à certaines dérives. Mais en relisant ce court bouquin pour faire ce texte, je m’aperçois que j’étais passé à coté de pas mal de chose à la première lecture, notamment cette référence au libéralisme et l’utilitarisme. Aujourd’hui les anarchistes parlent peu de morale sans doute par peur de passer pour des curés ou pire des sarkozystes ! Pourtant être anarchiste c’est avoir un idéal moral extrêmement fort qui pousse sans cesse à l’action. Une philosophie qui est presque entièrement fondée sur l’action, sur l’agir ne peut fonctionner qu’en se basant sur des éléments moraux très puissants par ce que psychologiquement c’est la conscience aiguë du bien ou du mal qui pousse souvent à agir.

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