DES CHICOTS DANS LE BRUGNON
Certes, ce nest pas la saison des fruits frais.
Mais il nest quand même pas interdit den avoir envie !
Considérant donc avec concupiscence un magnifique brugnon, à létalage de votre grande surface détestée, vous menez votre enquête, comme il convient (ne sommes nous pas des consommateurs responsables ?) sur les points suivants :
1 Origine de lobjet.
2 Pesticides et colorants ayant contribué à sa croissance.
3 Résistance à lécrasement dans le cabas à provisions,
4 Aptitude à devenir arme par destination en cas de résistance citoyenne à loppression.
Le désirable fruit, vous le comprenez assez vite, ne parait satisfaire quaux exigences 3 et 4.
Son origine est inconnue, mais tout porte à croire quil fut produit dans un laboratoire secret dépendant du groupe Mediator, ce qui est assez rassurant : ce fruit na rien de naturel, il est entièrement synthétique, et ne présente donc aucun risque.
Pas de pesticide à lhorizon, nul insecte nuisible ne savisant de survivre dans des conditions aussi extrêmes.
Par contre, les merveilleux colorants sont nombreux, tous fournis par le groupe Ripolin, ainsi que la couche de vernis qui donne au fruit son bel éclat brillant.
Cest donc un authentique produit français.
A peine sorti, poussé par un très vif désir de consommation, vous avez planté, incontinent,
vos dents avides dans ladorable fruit, et ce, jusquau noyau !
Cest à ce moment que vous avez eu un mauvais pressentiment
.
Il vous a semblé que vos dents, violemment enchâssées, nétaient peut-être plus en mesure de ressortir du terrible brugnon pour claquer librement à lair libre
Un second effort dextraction dut être considéré comme un deuxième échec.
Quon veuille bien considérer laspect épouvantable de la situation :
A la sortie dun quelconque Carouf, un homme, de plus en plus inquiet, tente en vain de libérer ses chicots plantés dans un brugnon hostile.
La clientèle aussi parait sinquiéter de la scène, et lon sécarte avec respect.
Les grands moyens simposent !
Saisissant votre mâchoire supérieure de la main gauche, et linférieure de la main droite, vous tentez de porter manuellement secours à votre dentition captive.
Plusieurs essais, secondés de rugissements étouffés, seront autant déchecs publics !
La foule intriguée vient peu à peu au spectacle
.
La situation est telle, quil y a urgence.
Vous avez repéré, dans le rayon des jouets pour garçons, des voitures assez conséquentes, vendues avec les accessoires indispensables à leur maintenance.
Et parmi eux, un cric miniature dallure crédible.
Faisant fi du risible, vous courez dans les allées du Carouf, à la stupéfaction générale, bouche coincée dans le brugnon, en direction du jouet convoité.
Vous en extirpez le cric, ce qui déclenche lalerte sonore générale : juste le temps le lintroduire en bouche avant larrivée des garde-chiourmes.
Lesquels, assez surpris par la vue dun « individu » tournant frénétiquement une manivelle miniature entre ses dents, prennent le temps dhésiter et sadonnent à une réflexion prudente.
Lorsquenfin les chicots sont libérés du brugnon rebelle, dans un étrange craquement, vous marmonnez : « Pas de problème, je paie tout ! »
Une dame compétente glisse à vos oreilles douloureuses :
« Les brugnons, cest de juillet à septembre ».
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