Seule demeure en ce jour, un peu de temps long s'offre à sa joie raisonnable.
Elle n'a pas fait sa toilette, la voilà devant moi.
Son linge sent, ses mains maigres tremblent et serrent nerveusement des clefs pour sa prison.
Depuis douze semaines, je la vois devant moi, manger un peu de sa jeunesse et me dire son histoire.
C'était il-y-a quarante ans.
Madame sa mère ne l'aimait pas.
Jamais elle ne lui téléphone, et n'a pas vu sa fille depuis six ans.
Elle n'a pas eu de vacances depuis qu'elle a quitté son emploi à la Poste.
En 1990.
Un hasard.
Mon temps de stagiaire à la conservation dans l'un des multiples lieux des archives nationales fait que je l'ai croisée ici, dans un restaurant ouvert à la fonction publique.
Et sa vie, entre deux bouchées très pauvres, se dévide peu à peu, écheveau de malheur, maltraitance enfantine, expulsions, viols et petits deals pour survivre.
Son ex est parti il-y-a bien sept ans, et depuis, elle est là, avec elle: son enfant.
Son enfant.
Ce petit être brun maigre comme un faubourg, gris passereau de peine, avec pour soi-même mais seule des déjeuners en ville, le retour vers deux pièces de trente-six mètres carrés avec vue sur la cour en haut d'un HLM entre-deux rues tranquilles.
La voisine est curieuse, elle se lève à minuit.
« Les gens, faut pas les croire sur paroles, vous savez ! »
J'ai été à la Poste, mais je n'ai pas su écrire.
Je suis une grande rêveuse.
Je n'aime pas ma voisine, elle le sait.
Vous venez demain, monsieur ?
Vous êtes gentil avec moi...
Un jour, oui, elle le rencontrera.
Et ils seront heureux, bien.
Un jour...
Oui.
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