Elle ne dormait plus depuis trois nuits. Elle avait lancé une bouteille à la mer au printemps et la marée déquinoxe lavait rejetée sur la plage. Le message sétait effacé de sa mémoire, trace de pas furtif dans le sable mou. Quelquun à lautre bout du fil lavait trouvé. Le timbre sombre et lointain montait des noirs abysses et venait griffer la surface de sa mer de tranquillité. La voix lui demandait limpossible. Elle se tenait dans lil du cyclone, là où le temps sarrête. Elle songea un instant à raccrocher sans un mot. Juste un petit « cloc » sur la bakélite noire, le bruit du coquillage qui sécrase en douceur contre le granit vert.
Elle sentendit dire « oui mais ». Un mais hésitant, incertain, angoissé. En écho, lui parvint un autre « mais » réprobateur, vindicatif, péremptoire. Voilà, cétait fini. Elle avait capitulé. Un avis de gros temps la clouait entre ses quatre murs, trois jours et trois nuits durant.
Un ordinateur. Il lui fallait un ordinateur. Le sien était en cale sèche.
Dix-neuf heures. Le compte à rebours venait de commencer. Elle appela un de ses amis informaticien. A vingt et une heure le matériel était sur la table de la salle à manger, prêt à fonctionner. Il y avait des fils partout mais son cerveau était neuf. Une coquille vide.
Sa substance nacrée et charnue reposait sur un lit de glace, dans un coin de sa mémoire à elle. Elle trima trois jours et trois nuits. Elle créa des images et des sons, aligna des mots, des chiffres et des tableaux, à partir dune idée : un projet sur lequel elle travaillait dans sa cage de verre du neuvième étage dun immeuble parisien. Son boss et son client annonceur lui avaient donné lautorisation de lutiliser.
Jour J.
Just in time, joie, jubilation
jaunisse !
Elle se tient sur le seuil du bâtiment flambant neuf. Le vaisseau amiral dégorge de ses entrailles une foule bruyante et indifférente.
Dun pas chaloupé, elle se dirige vers le desk et demande le numéro de sa cabine.
Vous plaisantez, vous avez deux cents moussaillons et en plus ils parlent pas la même langue ! Allez filez dans le grand amphi, ils vous attendent ! Hep, au fait, le technicien est en vacances.
Il fait un froid de gueux dans la coquille.
Et là, deux cents paires de mirettes qui lépinglent à bout portant comme un diptère égaré sur une toile daraignée. Pas de micro, pas de vidéo projecteur, pas de magnétoscope. Rien, Nada !
And the show must go on.
Le trac.
Un poulpe géant qui vous palpe entre ses tentacules, ses ventouses collées sur chaque centimètre carré de votre peau mouillée.
Et le silence.
Un abîme menaçant, sans fond, noir et gluant.
Et soudain, deux cents rires qui claquent et sentrechoquent, un cri universel qui abolit les barrières linguistiques.
Elle venait de raconter une histoire drôle.
↧