Ça commence toujours comme ça.
C'est d'abord l'imperceptible métamorphose des bruits de la nuit.
Comme ce maudit frigo qui se met à ronronner doucement au fond de la cuisine.
Fini ses hoquets de mécanique asthmatique qui hantent mes pires cauchemars... ceux où je crève lentement à cur ouvert sur une table d'opération. Pendant qu'une pagaille d'infirmières à quatre pattes cherchent désespérément le petit ressort qui vient de leur sauter à la tronche.
Mon ressort.
Celui qui retient le clapet de mes angoisses.
Ensuite il y a cette lumière derrière les rideaux de la chambre.
Fini les rafales de néon qui découpe mon sommeil en tranches fiévreuses.
A présent elle dégouline entre mes paupières sans sourciller.
Un rempart de feuillages semble avoir triomphé de cette connerie d'enseigne du Mac Do voisin.
J'ouvre enfin les yeux et m'étonne de ne plus voir à ma droite ce mur sinistre sur lequel mes rêves se cassent les dents depuis des lustres.
Disparu la muraille contre laquelle je m'arc-boute pour résister aux assauts du gars qui partage... non... qui me vole ma vie.
Lentement, très lentement, je défroisse les méandres où mes neurones sommeillent .
L'évidence les bousculent un peu, puis devant leur molle indifférence, je leur botte carrément le cul ;
Ce n'est pas ma chambre.
Et là, tous en cur, comme pour se dédouaner de leur stupide incrédulité , ils me fredonnent une chanson...
Celle que j'aime bien.
Cette nuit ci elle ressemble un peu à ça ( A la rime près c'est souvent la même)
« Hier soir tes copines de boulot, pour fêter une promo, t'ont trainé dans une boite à bobos. Avec un hidalgo t'as dansé le tango. Dans ses bras t'as tangué jusqu'à son studio. Et sur le lino vous avez joué à la bête à deux dos... oh oh... oh oh... »
Sans m'en rendre compte, avec la paume de la main je me frappe le front. Juste pour faire taire ces crétins de neurones qui se marrent au milieu de leurs rimes débiles.
C'est vrai.
J'ai encore découché.
Sur le bord de la couette, à ma droite, une épaule inconnue brille dans l'ombre.
Je ne me souvient de rien. L'alcool sans doute.
De peur de se reprendre une baffe la tribu qui squatte ma mémoire ferme sa gueule.
Plus de rimes, plus d'infos.
Par réflexe je glisse la main entre mes cuisses. Bon sang qu'il y fait chaud!
J'ai le bonbon qui fond.
Se pourrait-il que nous ayons... à cette seule pensée je me sens toute chose... et je me bricole un peu sur le pouce... jusqu'à ce que une cascade de fantasmes humides me scotche sur l'édredon comme une mouche sur de la confiture.
A mes cotés l'hidalgo respire en cadence, ses doux ronflements ont la profondeur et la chaleur de la voix de Léonard Cohen.
Un ravissement à coté du halètement bestial de mon goujat de mari.
Je me glisse enfin hors du lit pour assouvir ma curiosité...
Quelques photos sur un meuble. Dans l'obscurité je distingue des silhouettes enfantines.
Des enfants!
Divorcé... séparé... je m'en tape... c'était juste pour fêter la promo de Nicole.
A tâtons je contourne le lit... d'autres photos... là sur le mur. Le visage d'une femme... un peu plus loin un autre visage féminin il me semble, le pale reflet des sous-verres me permet tout juste d'en lire les contours.
Il y en a comme ça sur les quatre murs.
Je suis dans la tanière d'un lover Killer...!!
Ca m'excite bigrement... dès qu'il va s'éveiller le killer va sans doute me déglinguer la carlingue... D'y penser me fait déjà vibrer les gouvernes.
Je m'imagine fracassée contre la commode... les ongles plantés dans le papier peint... la boite noire éventrée par l'impact...
Hier soir j'espère lui avoir menti sur mon prénom... j'ai horreur qu'on me klaxonne Yvonne dans les oreilles lorsque je grimpe aux rideaux, ça fait Bretonne qui ronchonne quand on la pistonne...
J'aime bien raconter que je m'appelle Claire quand je m'envoie en l'air !
Et puis juste derrière moi une voix que je connais bien... me glace le dos... me vrille les tripes.
L'atterrissage est brutal...
« Meerde Yvonne ! mais qu'est-ce que tu fous dans le noir à ramper le long des murs pour mater nos photos de famille.... ça fait dix minutes que je t'observe... On dirait que t'habite pas ici !... et puis c'est quoi cette manie que t'as de venir t'installer de mon coté du lit en pleine nuit ? »
- !?
Connard de mari... mais arrête donc de niquer mes fantasmes !!!
↧