Bien sûr que vous le reconnaissez ce petit enfant qui court sur la plage, depuis son père jusqu'à la mer, et puis de la mer jusqu'à son père, et ensuite encore de son père au rivage, puis encore depuis ce bord de l'eau à la silhouette du père, et encore...encore une fois ce balancier joyeux d'enfant qui joue, entre terre et ciel, entre père et mer.
Il est en train d'apprendre. Il ne le sait pas mais il apprend la carte du monde. Il découvre qu'il peut aller d'un lieu à un autre, et y revenir. Inlassablement il y revient. Il y reviendra toujours.
Notre carte à nous, et notre boussole nous viennent de loin. Depuis que nous avons lâché le sein chaud de notre mère. Et que l'on nous a posé au sol froid, pour apprendre à marcher. Notre père avait alors pour mission de nous faire découvrir le monde. De nous arracher à ce ventre béni, et nous jeter la tête la première dans l'eau glacée d'une mer démontée et violente. Il nous jetait dans la mer, nous savions à peine nager, et nous engageait péremptoire, à lutter contre le froid, à avancer contre la vague et à sortir vainqueur de cette bataille contre une hydre géante. Nous ressortions violets et grelottants, et cependant glorieux. Notre père plantait un invisible drapeau sur le sable et couronnait notre tête de lauriers d'écume et de coquillages nacrés. Dans les bras de maman qui nous serrait dans la serviette et la chaleur retrouvée, nous venions de découvrir qu'il y avait un monde possible en dehors de ce triangle magique formé par nos parents et nous. Une sacrée équipe que ces deux là, les parents, dont le ventre tiède de l'une nous rassurait, pendant que les bras de fer de l'autre nous hissait au-dessus de la terre, au-dessus d'une foule compacte, au-devant d'un mystère, d'une énigme à creuser, d'un dragon à abattre ou d'un fort à brûler ! Nous apprenions la route et le désert, et le monde hostile et la rage, en connaissant bien cependant le chemin du retour, ce par coeur merveilleux, ce pour sûr absolu. La certitude de la maison, du chaud, du connu, du foyer.
Depuis toujours Hestia, la déesse du feu, veille. Elle est la stabilité, la permanence et la prospérité C'est elle qui garde l'âtre, et attise la flamme, qui protège, attentive. Sa bienveillance n'a pas de limites. Elle étreint et pardonne. Elle attend le retour de ceux qui sont partis.
Celui qui est parti c'est Hermes, le dieu de la guerre, avec son petit casque ailé et sa bourse d'argent, c'est lui celui qui va. Prospecter de par le monde, courir les champs et voyager. Et tuer les monstres.
Il y a vous, qui aussi êtes parti. Un jour. Il y a longtemps. Et votre mère a t-elle sans doute jeté un verre d'eau derrière vous, en souhaitant que vous reveniez vite et en bonne santé. Ou bien parsème t-elle désormais de sel le seuil de la maison en espérant votre retour ? Quoiqu'il en soit elle vous attend. Elle vous a attendu en tout cas. Elle continue de vous attendre.
Souvent l'on a tendance à se moquer de ces vieilles femmes derrière leur fenêtre, qui semblent espionner vos entrées et vos sorties d'immeuble, et vous agacent, dites-vous donc qu'elles attendent...l'improbable retour d'un enfant qui ne viendra pas.
Quant au père, celui qui vous jetait jadis dans les flots pour vous apprendre à nager, il vous aura appris aussi la lutte et la survie. Et ces allers retours de la serviette tendre à la houleuse mer, de la maison-cocon aux horizons sans fin, de ce nid duvet à ces oiseaux rapaces, c'est lui qui vous a montré et la route aller et le chemin retour, comme s'il était à la fois l'Ogre et le Petit Poucet qui aurait semé pour vous les petits cailloux blancs, balises fragiles pour retrouver la maison.
Maman repaire. Papa repères.
Cette fumée sur un toit là-bas....c'est la maison que vous cherchez.
Cela fait songer au Rosebud de Citizen Kane..... qui nous a tant fait pleurer.
A London, à Du Bellay, à Ulysse surtout qui a passé sa vie à revenir chez lui....
Allez, il est l'heure : rentrons.
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