LA PERTE DE L'INNOCENCE par CALINOSCOPE

Je sors de la fameuse expo Larry Clark interdite au moins de 18 ans. Quelqu'un peut m'expliquer ce qui se passe? Ma mère m'emmenait dans des expos Picasso, où des centaures membrés comme des ânes honoraient des jeunes femmes graciles, sans qu'on me demande de justifier mes dix ans! Ca me faisait rigoler et j'en étais moins choqué que par les images de la guerre du Vietnam ou du Biafra qui dégoulinaient à l'époque des revues et de la télé. Quels sont les députés qui ont voté une loi aussi inique? Suis-je le seul à penser comme ça? Les photos de Larry Clark ( certaines sont terribles) c’est peut être le seul témoignage qui soit capable d'empêcher un jeune de toucher à une seringue. Justement parce qu'il n'y a pas de jugement moral sur ces adolescents. Il ne les juge pas. Le choc en est d'autant plus profond que son immense talent, l’impression d’intimité et d’empathie pour ses modèles, nous placent avec simplicité face à des anges égarés qui retournent avec acharnement leurs ailes contre eux-mêmes… Rien n’est caché, ni les jeunes filles abandonnant leur corps sous l’emprise de la dope aux envies de plusieurs garçons, ni l’enchevêtrement des seringues, du sexe, de la nuit, de la frime, du monde rétréci de jeunes mecs à la recherche du fric pour leur dose quotidienne. Mais cela reste supportable grâce au regard et au talent de Clark. L’expo finit bientôt, mais la plupart des photos sont sur le net. Faites-vous une opinion par vous-même. Les photos de Clark sont exceptionnelles, je le confirme ici. Je ne dirais pas la même chose de l’expo proto-soviétique, avec documents collés au mur, ambiance glaciale sans aucunes explications. Pour être tout à fait moi même, je dirais que si cette expo avait été mieux conçue elle n’aurait jamais été interdite. Souvent, le front bas des censeurs recule devant l’éclat du talent et la crainte d’un scandale international. Heureusement il y a les films… Dans un coin de l’expo, on peut apercevoir les films noirs et blancs tournés par Clarke, à la va vite et montés à la diable. Toute la fraîcheur, la qualité de ses films postérieurs et « hollywoodiens », sont déjà là. En particulier celui ou deux adolescents se mettent au lit et se lancent dans une tentative de reproduction de l’espèce. On découvre ce que le cinéma commercial empâte dans l’esthétisme, alourdi dans son découpage et intellectualise dans ses gros plans publicitaires de doigts parcourant l’épiderme. Les ados font ça en se marrant et on ferait bien de ne pas l’oublier. On retrouve tout cela dans « Another day in paradise » , un film classique Hollywoodien de Clark, trouvable en Dvd, où un tout jeune couple de cambrioleurs s’associe avec un duo de roublards chevronnés pour vivre une vie facile de fauches et de farniente. Un véritable parcours d’initiation cocasse et inventif avec la fraîcheur cristalline des adolescents soumis aux regards des adultes, l’absence de limites, la confrontation au réel, la préservation de l’innocence sur le chemin de la vie. L’humour permet de traverser les situations les plus tendues, et la légereté irrigue chaque scènes. Tout Clark est là, à son meilleur... Vous sortirez du film avec une pêche d’enfer car il donne un des secrets de l’adolescence : le renouvellement et l’insouciance du corps et de l’esprit en pleine métamorphose. Ce film vous fera sourire et rire car c’est une comédie, pleurer aussi à un certain moment. La déclaration d’amour finale du jeune héros à sa petite amie (je ne dis rien de plus pour préserver la beauté et la force de la scène) est une des choses les plus surprenantes et des plus poignantes que je n’ai jamais vu sur un écran. Avec Mélanie Griffith et James Wood en cerises sur le calendrier des postes. Cela vous fera oublier Anastasia et ces ciseaux... Allez y les yeux fermés, ouvrez les pour la séance, refermez les seulement quand on vous embrasse.... mais vous connaissez déjà la méthode.... Bonne année et meilleurs vœux. Ps) Exceptionnellement, le rendez vous hebdomadaire de toutes celles appréciant ce texte est reporté à la semaine précédente, même endroit même heure, Nikon en main gauche, jerrican de révélateur en main droite. Je serais pour ma part vêtu d'un bêret de censeur, d'une Lavallière et du tome deux des droits de l'homme pour me protéger du froid.....