"Petite fleur" par Apeupadurer

"PETITE FLEUR" Ce soir tu as le cœur gros… Tu sais bien que ce n’est plus de ton âge, mais l’éternel enfant dont tu ne veux plus écouter le chuchotement plaintif s’est frayé un passage à travers le fatras chaotique de tes souvenirs. Par où est-il passé ? De quelle fissure a-t-il su profiter ? La fin d’une année ? Le départ d’une amie ? « Petite fleur » de Sidney Bechet ? Le ciel indécis de neige ? -------- Vous le fuyez. Les enfants vrais sont adorables, mais l’ombre errante et pâle de celui, qu’un jour, vous avez été, vous pèse et vous encombre, comme un attachant poison. Comme une saveur de fin de monde, de départ, de blues… Comme une entrave au bonheur. --------- « Dis Papa ? » s’exclame le gamin heureux de cette nouvelle formule : « Comment ça va la vie ? » La terrible réponse, vous ne l’avez pas comprise : « J’regrette rien, mon gars, mais j’rejoue pas ». --------- Dieu merci, la signification de pareils mots n’est pas accessible aux enfants… Tu ranges cette phrase au magasin de ta mémoire, comme une énigme obscure, un peu inquiétante, dont tu te dis qu’un jour, sans doute, tu sauras démêler le sens . --------- ‘Les mots de la tribu’ circulent et s’oublient vite. Ceux qui surgissent, imprévus, du fond d’une vie qui nous est chère, l’enfant les conserve pieusement, comme l’huitre sa perle, et n’y pense plus. Ces mots-là cheminent avec nous en silence, et, parfois, beaucoup plus tard, s’illuminent de leur sens et éclairent de leur terrible lumière les recoins oubliés de notre passé. Vous n’êtes plus un enfant. --------- Ce soir, vous redoutez la force de vos premières années. Vous savez qu’elle est enceinte de mille mots, d’images muettes encore, de parfums et de visages entrevus aux expressions incomprises. Lutte vaine : ces fleurs éclosent une à une, en un bouquet fané. --------- Et si vous faisiez fausse route ? S’il n’y avait nul autre chemin, (hors l’avenir indécis qu’aucun dieu ne garantit), que celui-ci, parsemé de fleurs séchées, comme un vieux livre ? --------- Te souviens-tu de ces grandes vacances estivales qui ne s’achevaient, jadis, qu’à la fin de septembre ? Près de Paimpol, vous vous amusiez tant, la petite fille et toi. Lorsqu’il a fallu repartir, elle t’a embrassé sur le bord de la joue. Cette lueur triste dans ses yeux gris comme l’Océan, t'en souviens-tu? Tu n’as pas compris. Elle si. --------- Aujourd’hui, vous savez… « Petite fleur » se chantonne, tout bas, au grenier de votre mémoire.