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Premier obstacle sur le chemin de l'éducation par Rapanui

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Rentrée scolaire, dans cette ville autant africaine que française. Ils avancent d'un air décidé dans les rues pentues, encombrées de détritus voisinant avec les containers poubelles à moitié vides. Le grand a 8 ans tout au plus, il est bien plus fluet que les petits blancs qui feront ce matin leur rentrée en 4x4 dans les nombreuses écoles privées de l'île. Il tient fermement la main du petit, 3 ans, 4 peut-être. A coup sûr, c'est sa première rentrée scolaire. Ni son papa ni sa maman ne l'accompagnent, peut-être parce qu'ils n'ont pas les papiers qui leur permettraient de se balader sans crainte dans l'ancien "pays des Droits de l'Homme". Leur tenue, tee-shirt et pantalon, est usée par les lavages à la main mais impeccablement propre à cette heure matinale. Ils n'ont pas même un cartable, et tiennent serré sous leur bras un grand cahier couvert de papier kraft (je reconnais celui que les commerçants proposent gratuitement en emballage cadeau). Le grand format de cette unique fourniture scolaire encombre un peu le plus petit, mais il prend bien soin de ne pas le laisser tomber sur le bitume mouillé par la saison des pluies débutante. Je suppose (j'espère) qu'ils ont au moins aussi un stylo caché dans une poche. Ils marchent vite, sans se parler, serrant fort la main de l'autre, restant bien sur le haut du trottoir, sans prendre garde au flux des véhicules qui se croisent tout près d'eux. Tout à coup, le grand s'arrête net, surpris, tire un peu le petit en arrière. Ils sont stoppés par un trou de près d'un mètre, regard non protégé sur le profond caniveau que recouvre le chemin piétonnier. L'obstacle occupe toute la largeur du trottoir, et est bien trop long pour que leurs petites jambes puissent sauter au dessus. Le grand recule un peu, regarde la palissade grillagée à sa droite, impossible à escalader ; regarde à gauche, prend conscience des voitures, serre un peu le petit contre lui. Je comprends alors qu'ils ont reçu la consigne formelle de ne pas quitter le trottoir, et qu'il ne sait comment faire pour arriver à bon port tout en respectant les recommandations maternelles. Je me rapproche vite d'eux, je suis un peu pressée, quelle idée d'avoir pris mon temps pour petit-déjeuner juste aujourd'hui, alors que j'aurais pu me douter que je serai retardée, même si la marche à pied me protège habituellement des embouteillages. Mais ces mioches sont craquants, l'un très imbu de la tâche qui lui a été confiée, l'autre abandonné à son protecteur, un peu perdu. J'arrive derrière eux, le grand sursaute, interrogateur, le petit écarquille encore un peu plus les yeux, si c'est possible. Je leur tends la main en leur proposant de passer sur la route avec moi. Je ne suis pas certaine que l'un des deux m'ait comprise, mais le grand prend ma main, le petit fait pareil, et nous contournons l'obstacle entre deux passages de voiture. Revenus sur le trottoir, je demande au grand vers quelle école ils vont. Il me fixe, ne répond pas, serre à nouveau son petit frère contre lui ; le petit met ses doigts dans sa bouche et se blottit en cachant son visage. J'ai l'impression de porter un uniforme de la police aux frontières ! Suis-je donc si terrifiante ? Je leur souhaite une bonne rentrée scolaire, fais un signe d'au-revoir qui les laisse sans réaction et reprends mon chemin. Mais le chemin de ces deux-là sera long et difficile, avant qu'ils se sentent citoyens libres et en sécurité de ce pays où ils commencent leur vie. J'espère de tout cœur qu'ils parviendront à accéder à la connaissance et à la stabilité qui leur permettra de devenir des adultes épanouis et dignes. Et je regrette, tellement, de vivre dans un monde où les enfants noirs ont peur des femmes blanches.

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