1990
c'est la guerre
la guerre du Golfe. Me voilà projeté, avec des amis, dans un décor apocalyptique dans lequel tout n'est que bruits d'explosions, cris, flammes, fumées noires. Au loin, les chars ; en haut, les avions de guerre ; tout près, des hommes armés
Tirs et lancers de grenades se succèdent sans discontinuer. La terre tremble. Que faisons-nous là ? Désarmés et pouvant à tout moment se faire éclabousser
Il s'agit de fuir, vite, n'importe où
là où l'on ne risque plus de se faire blesser ou tuer
la panique nous fait courir ; dans ma fuite aveugle, après avoir couru au-delà de l'épuisement, je me rends compte que je suis seul
seul dans ce décor inconnu
mais calme
La fureur et les cris sont lointains et je marche dans ce paysage rocailleux à la végétation rare et écrasée, à la recherche de fraîcheur, d'abri et d'eau. J'ai peur.
J'ai peur
mais l'épuisement me gagne
Sur ce chemin informel, je monte
mes pas avancent, ma conscience est ailleurs un long moment et se laisse guider. Enfin, quelques arbres
des oliviers ; de l'ombre. Un peu plus loin, il me semble qu'il y a un village
Les pierres, les tuiles sont couleur terre et se fondent dans ce biotope accidenté. Je me trouve à présent à l'orée de ce village, sous les oliviers. Il est calme. On dirait qu'il n'y a personne. Qu'y vais-je rencontrer ? L'appréhension me gagne. Avec la conscience qui redescend dans ses pénates, l'angoisse remonte. Je me sens plus perdu que jamais.
Je vois une forme blanche entre deux oliviers plus grands que les autres. Ce blanc éclatant m'intrigue et m'attire
J'approche
C'est une statue. Je la vois de dos. Je la contourne et je me trouve devant une représentation d'une divinité en laquelle je crois reconnaître Osiris ! Mais je n'ai pas le temps de m'en étonner. Epuisé, angoissé, à bout de nerfs, je m'effondre à ses pieds et me mets à l'invoquer, à lui parler, le supplier :
Pourquoi ? pourquoi tout cela ? Toute cette fureur, cet holocauste, ce sacrifice humain
Depuis le temps que l'Humanité existe, n'y a-t-il pas moyen que la paix s'instaure ? Réponds-moi, je t'en supplie, quel est le sens du mal en ce monde ?
Et je reste, en silence, accroupi, la tête dans les mains
En un éclair de lucidité, je me visualise, me trouve pitoyable, ridicule
oui, je prie parce que j'ai peur, mais suis-je sincère ? Est-ce que je cherche réellement un sens positif, une issue pour l'Humanité, ou tout simplement une place au chaud, loin des tourments humains, que le confort me ferait vite oublier
J'ai honte de moi
Et toujours la peur, la peur
et cette statue qui ne répond pas, qui ne répondra pas, car il n'y a personne dans cette pierre blanche ! personne !
Je relève la tête, avec fureur
mais celle-ci tombe instantanément devant le regard fixe et brillant posé sur moi
La statue a ouvert les yeux et me regarde
Et j'entends sa voix paisible dans ma tête :
Pourquoi me poses-tu cette question ? ... Crois-tu, si je te disais la vérité nue, que tu serais capable de la supporter ?
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