Je viens de terminer le petit opuscule de Stéphane Hessel «Indignez-vous !» (Le texte en lui-même est court puisquil ne fait que 13 pages).
Dans lintroduction lauteur rappelle ce qui a motivé dans sa jeunesse son engagement politique : la résistance à lenvahisseur nazi.
Il y dénonce pêle-mêle, abruptement que certains «principes et certaines valeurs» hérités des travaux du Conseil de la Résistance sont aujourdhui dévoyés par une politique de suspicion à légard des minorités : Roms, sans-papiers, mais aussi par la casse des acquis sociaux, les médias aux mains des grands capitaines dindustrie, par certains actes politiques qui séparent une société française oublieuse de ce qui avait été lesprit de laprès-guerre.
Il sarrête quelques instants à juste titre, sur la domination dun argent-roi accaparant les richesses quelle vole au travail, dénonçant au passage que la Sécurité Sociale fut créée à son origine pour «assurer à tous les citoyens des moyens dexistence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail
une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours».
Nous en sommes bien loin (surtout pour les ouvriers et employés et de nombreuses femmes).
Il frappe un grand coup, même si cela peut sembler désuet, en rappelant la dictature professionnelle qui impose à tout un chacun de trouver un emploi pour pouvoir vivre et rappelle que la Résistance a proposé «une organisation rationnelle de léconomie assurant la subordination des intérêts particuliers à lintérêt général et affranchie de la dictature professionnelle instaurée à limage des Etats fascistes».
Dictature il y a en effet, puisque impossible de déroger à cela, puisque sans emploi pas davenir. Pour ce qui du rapprochement avec le Reich, il apparaît exagéré voire condamnable. Lindignation ne justifie pas tout.
Il poursuit en dénonçant les rapprochements hasardeux de la presse et des pouvoirs économiques et politiques et rappelle que la Résistance avait établie «la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à légard de lEtat, des puissances dargent et des influences étrangères».
Il noublie pas non plus dans son plaidoyer de dénoncer les réformes de léducation qui selon lui vont à lencontre dune instruction pour tous et sans discrimination.
«Le motif de la résistance cest lindignation» : dans ce paragraphe, il sinterroge sur les raisons pouvant expliquer que largent puisse manquer à un Etat qui engrange tellement plus de richesses quau sortir de la libération.
La seule réponse quil apporte est que «le pouvoir de largent tellement combattu par la Résistance, na jamais été aussi grand, insolent, égoïste
», ce nest pas faux.
Il épingle au tableau, tour à tour, les banques, les hauts salaires des dirigeants, rappelant que «lécart entre les plus pauvres et les plus riches na jamais été aussi important
».
Selon lui cette dictature de largent roi contient en elle tous les ferments des désordres à venir. Peut-être a-t-il raison.
Pour clore ce paragraphe, il appelle tout un chacun à trouver des raisons de sindigner jugeant cette recherche salutaire pour tous. Plus vous vous indignerez, plus vous gagnerez de liberté voilà ce quil semble dire.
«Deux visions de lhistoire» : il frappe demblée encore un grand coup, en accusant les classes dirigeantes dêtre à lorigine de la 2nde guerre mondiale en réaction à leur crainte du communisme.
«
ce qui a causé le fascisme, qui a fait que nous ayons été envahis par lui et par Vichy, je me dis que les possédants, avec leur égoïsme, ont eu terriblement peur de la révolution bolchevique» - Vision personnelle et sans nul doute réductrice. Difficile de développer un argumentaire en si peu de lignes.
Dommage. Jaurais aimé quil le fasse.
Il rappelle que son indignation personnelle a eu pour socle la lutte contre lenvahisseur nazi, que si il a été en faveur de lindépendance de lAlgérie il a aussi fêté la victoire des armées de Staline sur Hitler, tout en étant le premier à rejeter et lutter contre toute forme de totalitarisme.
La suite de ce paragraphe le voit parler de ses études à lEcole Normale et citer ses maîtres à penser, Sartre pour la responsabilité individuelle de lhomme dégagé de tout pouvoir ascendant et Hegel pour le sens quil donnait à lhistoire humaine.
Il termine ce paragraphe en revenant brièvement sur une description du tableau qui ouvre le livre : «lAngelus Novus» de Paul Klee, y voyant à la suite de son ami le philosophe Walter Benjamin : «un ange repoussant une tempête quil identifie au progrès».
«Lindifférence : la pire des attitudes» : je ressens profondément lidée quil met en exergue à lentrée de ce paragraphe.
Nous sommes confrontés au quotidien à de multiples sollicitations qui irritent nos sens et nous empêchent de savoir précisément où sont véritablement les responsables. Contre qui sindigner ?
Il demeure cependant tant de raisons de sindigner : «dans ce monde, il y a des choses insupportables».
Selon lui et je le rejoins lune des principales composantes de lhumain est la faculté à sindigner. A ne pas accepter ce que lon cherche à nous imposer contre notre volonté.
Il parle de deux «grands défis» à relever demain :
- lécart entre le nord et le sud en terme de richesses.
- les droits de lhomme et létat de la planète quil place côte à côte.
A cet instant, il revient sur ce qui a présidé à la rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de lHomme en 1948 et rappelle que certains pays anglo-saxons voulaient intituler le texte «Déclaration Internationale
».
Selon lui le terme «Déclaration Internationale
» contenait en gestation, la possibilité quun Etat rejetant luniversalité des principes édictés puisse perpétrer des crimes contre lhumanité sur son sol et ne pas avoir à en répondre au nom de sa souveraineté.
Il rappelle successivement les articles 15 et 22 de cette Déclaration ayant trait au fait que «tout individu a droit à une nationalité» et que «tout personne en tant que membre de la société à droit à la Sécurité Sociale
».
Il conclu le paragraphe en exhortant la jeunesse à demeurer vigilante et à chercher autour delle des raisons de sindigner.
«Mon indignation à propos de la Palestine» : ici, il évoque lopération «Plomb durci» mise en place par larmée israëlienne, les exactions commises, le courage des Gazaouis, la différence de prix à payer de chaque côté.
Lui-même accompagné de son épouse est allé en 2009 sur les lieux «constater de visu» ce dont témoignait le rapport Richard Glodstone de septembre 2009.
Japprécie ici sa franchise et le suis dans son raisonnement : «que des juifs puissent perpétrer eux-mêmes des crimes de guerre, cest insupportable. Hélas, lhistoire donne peu dexemples de peuples qui tirent les leçons de leur propre histoire».
Force est de reconnaître que la survivance mémorielle réclamée à juste titre par les descendants des victimes de la 2nde guerre mondiale se heurte de plein fouet et avec quelle violence à la réalité de ce quest aujourdhui létat dIsraël.
Il tente de comprendre ensuite, même si il le condamne après, lusage du terrorisme du Hamas vis-à-vis de létat dIsraël : «
le terrorisme est inacceptable, mais il faut reconnaître que lorsque lon est occupé avec des moyens militaires infiniment supérieurs aux vôtres, la réaction populaire ne peut pas être que non-violente».
«La non-violence, le chemin que nous devons apprendre à suivre» : il est «convaincu que lavenir appartient à la non-violence».
Il cite Sartre : «Je reconnais que la violence sous quelque forme quelle se manifeste est un échec. Mais, cest un échec inévitable parce que nous sommes dans un univers de violence. Et sil est vrai que le recours à la violence reste la violence qui risque de la perpétuer, il est vrai aussi que cest lunique moyen de la faire cesser».
Il ajoute lui-même que «la non-violence est le moyen le plus sûr de la faire cesser» - Il est vrai quarrive un instant, où les armes vont se taire. Reste à savoir quand et dans quelles conditions.
Il considère que Sartre a longtemps soutenu le terrorisme pour finir à la fin de sa vie par douter de sa raison dêtre et par se tourner quelques temps avant sa disparition vers la notion despérance : «il faut essayer dexpliquer pourquoi le monde de maintenant, qui est horrible, nest quun moment dans le long développement historique, que lespoir a toujours été une des forces dominantes des révolutions et des insurrections, et comment je ressens encore lespoir comme ma conception de lavenir».
Selon lui, il faut éviter de laisser saccumuler trop de haines entre les peuples pour garder un espace de négociation vierge où pourront se réunir oppresseurs et opprimés.
«Pour une insurrection pacifique» : ce paragraphe clôt le livre.
Il cite un exemple de non-violence pour entamer ce dernier chapitre. Celui des marches pacifistes hebdomadaires des citoyens de Bilid jusquau mur contre lérection duquel ils protestent, relevant non sans ironie que les autorités israéliennes les ont qualifié de «terrorisme non-violent».
Prouvant par là même que la non-violence quil appelle de ses vux, peut produire des effets et générer des changements.
Il revient à nouveau sur les risques que «la fuite en avant du toujours plus» fait courir à lhumanité, sinterrogeant sur le devenir du concept et les évènements que celui-ci ne manquera pas de provoquer au cours de lhistoire humaine à venir.
Selon lui la décennie 2000/2010 est une période de recul quil explique par la présidence Bush, le 11 septembre et la guerre en Irak.
Il parle brièvement de la crise économique et constate avec justesse que malgré les terribles bouleversements quelle a provoqué rien na changé dans la sphère financière, pas plus quen matière de développement ou en matière de préservation de lenvironnement.
Il considère que nous sommes à une période charnière entre les dix dernières années et les potentialités des décennies suivantes.
Il conclu son livre en rappelant que des menaces pèsent encore sur lhumanité et quil faut constamment appeler à «une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation de masse, le mépris des plus faibles et de la culture, lamnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous».
Je ressors de cette lecture avec un sentiment mitigé : les indignations de lauteur pour autant quelles soient ciblées, restent belles, mais, elles sont partagées par tant dindividus sur la planète que je minterroge sur la justification de ce livre.
La seule réponse que je trouve se situe dans le témoignage de lengagement personnel dun homme de courage et de conviction arrivé au terme de sa vie et voulant apporter une caution morale au maintien de lindignation comme garante des libertés à venir : «voilà ce que jai fais. Il ne tient quà vous de prendre exemple !»
Tout au long de son texte Stephane Hessel martèle le message : «Ne cessez jamais de vous indigner !»
En cela je le rejoins. Ne jamais accepter ce qui nous est présenté comme inéluctable dès lors quon le juge injuste et dégradant.
Lindignation est sans doute lun des chemins parmi les plus escarpés vers le respect de soi, puisquil place celui qui le prend tour à tour en position de combattant et de défenseur, cest aussi lun des plus beaux.
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