Il a demandé que je me déshabille
que je me montre nue sans voiles
et sans ambages
que je vous dise tout de moi
de mon autre côté
de mon autre versant
Il dit que je triche
que je vous mens un peu
que je me montre telle que je ne suis pas
Il s'énerve tout seul
à lire ces beaux portraits de moi
que je vous livre
mes paroles mesurées
et parfaitement tranquilles
le mettent en rage
Il ne comprend pas
que je puisse offrir au monde
ce visage de sainte, ce grand coeur de madone
cette immuable dorure de moi-même
ce lissage parfait de mes traits
ce gommage de comédons
mon nez poudré
et mes lèvres sourire
Cela l'agace, tant de fioritures
et de gnan-gnans sucrés
ces trop courtois échanges
et mes secrets glacés
et tous mes mots confits
Il s'emporte de tant de polissage
il déteste mes habits de scène
et mes masques vernis
Il voudrait qu'on me voit
telle qu'en vérité je suis
mais je ne sais pas s'il est bon
de livrer mon espace et mon âme
en pâture à l'hallali
Il veut que vous sachiez
que je ne suis pas celle
que je ne suis pas ça
cette femme superbe
magnanime et discrète
bien propre sur elle
distinguée et charmante
qui enfile de jolis mots
sur des colliers de perles
Il veut que j'avoue.
que je me traîne dans la boue
que je m'expose nue
et toute crue
à votre jugement terrible
Il veut que je fasse pénitence
dazi bao mea culpa
acte de contrition et falballas
et qu'à genoux je demande pardon
Il veut que je vous conte
Docteur Jekkyl et Mr Hyde
et le clown au nez rouge
et Pinocchio le grand menteur
Le traître dans Polichinelle
et les farceurs et les frimeurs
toute la Comedia dell' Arte
Ca le rend fou qu'on me croit si mignonne
généreuse attentive et parfaite
Térésa en personne
aimante et dévouée
Ce beau tableau de moi
Il veut le piétiner
le réduire à néant
et en place publique
Démasquer mon visage
pointer mes excès
mes chemins de traverse
Arracher mes cheveux
et me crever les yeux
Me faire manger mes images pieuses
Boire l'eau du bénitier
et cracher à terre la douce perverse que je suis
Il m'en veut
Il me hait
Il ne supporte plus ma photo en peinture
la rondeur de Mona
la candeur de Lisa
cet air angélique et mes joyeux cantiques
Il voudrait pouvoir m'éreinter
et me battre comme plâtre
à grands coups de bates
à coups de mots
me voir courber la tête
me livrer au bourreau
demander grâce enfin
avouer avouer
hurler que ce n'est pas moi !
ce n'est pas moi cette femme sublime
ce n'est pas moi car j'apporte
aussi avec le reste, dans mes corbeilles
chargées de merveilleux cadeaux
des pommes vermeilles et dedans un poison
que j'instille goutte à goutte dans ses veines
profondes
et mes morsures au cou et mes griffes de chat
et mes mots qui le giflent comme le vent mauvais
et mes colères tempêtes et mes fureurs salées
de cris et de larmes mêlées
je suis Phèdre
je suis sorcière
et je manie l'épée
Voilà donc qui je suis
désormais vous savez
mais vous saviez déjà
car chacun et chacune
vous êtes comme moi
un côté pile et l'autre face
et comme Janus l'homme aux deux visages
vous souriez le jour
et vous hurlez la nuit
vous portez comme moi une robe légère
qui cache dessous de sombres oripeaux
votre main tendue vers la mienne
et l'autre dans le dos qui cache un grand couteau
Ces deux côtés de moi
qu'il voulait que je clame
les voici donc ici
immolés pour lui plaire
sur les marches d'un palais ancien
et Lucrèce Borgia
et l'antique Médée
toutes et tous sont venus
raconter avec moi ce qu'ils furent
et de quels drôles de théâtres
ils furent les acteurs !
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