Bien sûr, un homme que naiment ni Elisabeth Lévy, ni Pierre André Taguieff, ni Luc Ferry, ni Eric Zemmour ne peut être entièrement mauvais. Quand je dis Luc Ferry et Eric Zemmour, jexagère : ils apprécient le personnage (enfin, cest ce quils disent), mais pas sa littérature, sa façon décrire, ses bons sentiments.
Ferry et Zemmour sont des politiques avisés. Ils ont lu Nicolas (Machiavel) et ils ont voté Nicolas (Sarkozy). Ils ne pouvaient quand même voter pour madame Foldingue. Daccord, ils sont de droite, mais critiques. Ferry envisage même de voter à gauche en 2012 si Holland est candidat. Zemmour, non. Il nest pas né lhomme de gauche (la femme, nen parlons pas) qui pourra emporter son vote.
Ce quils reprochent à Stéphane Hessel, cest son moralisme. Sindigner, pff, cest facile. Ils nont pas tout à fait tort, à mes yeux. Lindignation vertueuse est une posture qui me gonfle assez vite. Mais, de la même façon que « lenfer, cest les autres » (Sartre) ; « la morale, cest toujours la morale des autres » (Léo Ferré) ; lindignation vertueuse, cest toujours celle des autres.
Je pourrais finir sur ce point en suggérant que, les jugements de Ferry et Zemmour, cest souvent de la naïveté qui se prend pour du cynisme.
Mais le sujet, ici, cest lindignation de Stéphane Hessel et comment la faire passer, ou la dépasser. Son petit texte a déjà suscité maints commentaires. On sait que cest un succès de librairie. Quon peut sindigner pour la modique somme de 3 . Et que lopuscule a même fait lobjet de nombreux cadeaux à loccasion des fêtes de fin dannée. Personnellement, je me le suis procuré en ligne en version PDF il y a deux jours.
Je vais limiter mon commentaire à deux points (qui nont pas été abordés par Ferry et Zemmour lorsquils ont pointé les insuffisances du petit livre) : LE PROGRAMME DU CONSEIL NATIONAL DE LA RESISTANCE et LA QUESTION DISRAEL.
LE PROGRAMME DU CONSEIL NATIONAL DE LA RESISTANCE
Cest un texte daté du 15 mars 1944, encore plus court que celui de Stéphane Hessel (7 pages). Il commence ainsi :
« Née de la volonté ardente des Français de refuser la défaite, la Résistance na pas dautre raison dêtre que la lutte quotidienne sans cesse intensifiée.
Cette mission de combat ne doit pas prendre fin à la Libération. »
Les premières pages énoncent des mesures essentiellement militaires sous le titre : PLAN DACTION IMMÉDIATE. Puis à partir de la page 6, les rédacteurs abordent la seconde partie : MESURES À APPLIQUER DÈS LA LIBÉRATION DU TERRITOIRE.
Cest là quils entreprennent de « promouvoir les réformes indispensables :
« a) Sur le plan économique :
linstauration dune véritable démocratie économique et sociale (
)
une organisation rationnelle de léconomie (
)
lintensification de la production nationale selon les lignes dun plan arrêté par lEtat (
)
(
) le droit daccès, dans le cadre de lentreprise, aux fonctions de direction et dadministration, pour les ouvriers possédant les qualifications nécessaires, et la participation des travailleurs à la direction de léconomie.
b) Sur le plan social :
le droit au travail et le droit au repos (
)
un rajustement important des salaires et la garantie dun niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité dune vie pleinement humaine ;
(
)
un plan complet de sécurité sociale (
)
la sécurité de lemploi, la réglementation des conditions dembauchage et de licenciement, le rétablissement des délégués datelier ;
(
)
une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ;
le dédommagement des sinistrés et des allocations et pensions pour les victimes de la terreur fasciste. »
En citant ces lignes, jai aussi cité une page de lopuscule de Stéphane Hessel qui les reprend.
En 2007, un autre programme est publié :
« La liste des réformes ? C'est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. (
) Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance !
Lintégralité de ce texte, intitulé ADIEU 1945, RACCROCHONS NOTRE PAYS AU MONDE ! , est disponible :
http://www.challenges.fr/magazine/analyse/0094.5304/
Il a été publié dans Challenges par Denis Kessler. On imagine aisément ce qui lui déplait dans le programme de 1944. Ce nest pas la première partie, mais la seconde, et principalement les mesures économiques et sociales.
Mais ce texte mérite dêtre lu (encore plus court : une page), ne serait-ce que pour son analyse historique :
« A l'époque se forge un pacte politique entre les gaullistes et les communistes. Ce programme est un compromis qui a permis aux premiers que la France ne devienne pas une démocratie populaire, et aux seconds d'obtenir des avancées - toujours qualifiées d'«historiques» - et de cristalliser dans des codes ou des statuts des positions politiques acquises. »
Cest bien ce « compromis historique » qui est à la base de lexception française, du modèle social français. Pour Denis Kessler, ce compromis est une parenthèse quil convient de refermer. Ainsi, il conclut :
« Il aura fallu attendre la chute du mur de Berlin, la quasi-disparition du parti communiste, la relégation de la CGT dans quelques places fortes, l'essoufflement asthmatique du Parti socialiste comme conditions nécessaires pour que l'on puisse envisager l'aggiornamento qui s'annonce. Mais cela ne suffisait pas. Il fallait aussi que le débat interne au sein du monde gaulliste soit tranché, et que ceux qui croyaient pouvoir continuer à rafistoler sans cesse un modèle usé, devenu inadapté, laissent place à une nouvelle génération d'entrepreneurs politiques et sociaux. Désavouer les pères fondateurs n'est pas un problème qu'en psychanalyse. »
Ces lignes saluent lavènement du moment Sarkozy (pour parler comme Emmanuel Todd). Et cest bien à cela que semble répondre Stéphane Hessel :
«Cest tout le socle des conquêtes sociales de la Résistance qui est aujourdhui remis en cause. ».
LA QUESTION DISRAEL
« Aujourdhui, ma principale indignation concerne la Palestine, la bande de gaza, la Cisjordanie. »
Cest cette indignation-là qui vaut à Stépane Hessel les polémiques dont il est lobjet depuis quelques mois. On sait quil a initié une campagne de boycott des produits israéliens qui a indigné Bernard -Henri Lévy, Alain Finkielkraut et Pierre André Taguieff.
http://www.youtube.com/watch?v=NP3lJjh5OO4
http://www.dailymotion.com/video/xfpit7_taguieff-hessel-est-passe-a-l-ennemi-radio-j_news
http://www.youtube.com/watch?v=HjAx5HNTcA8
http://blog.mondediplo.net/2010-11-02-Boycott-d-Israel-un-appel-indigne
http://www.liberation.fr/politiques/01012303092-il-est-desormais-interdit-de-boycotter
Et on voit que ces indignés professionnels ont porté laffaire devant les tribunaux et quils ont remporté une première victoire.
Dans sa petite brochure, Stéphane Hessel fait une remarque sur la difficulté daborder la question dIsraël sans risquer un malentendu :
« Jai noté et je ne suis pas le seul la réaction du gouvernement israélien confronté au fait que chaque vendredi les citoyens de Bilid vont, sans jeter de pierres, sans utiliser la force, jusquau mur contre lequel ils protestent. Les autorités palestiniennes ont qualifié cette marche de « terrorisme non-violent ». Pas mal
Il faut être israélien
Il faut être israélien pour qualifier de terroriste la non-violence. »
Stéphane Hessel est peut-être moins naïf que le suggèrent Luc Ferry et Eric Zemmour, lui qui conteste le monopole de lindignation à Bernard -Henri Lévy, Elisabeth Lévy, Alain Finkielkraut et Pierre André Taguieff. Il aurait même un petit côté Machiavel, lui qui voulait « garder une oreille ouverte vers le communisme pour contrebalancer le capitalisme américain. »
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